La croisière n’amuse plus. Par Alain Clavet
La croisière n’amuse plus : tourisme de masse, gigantisme et pollution – une menace environnementale et sociale
Des navires gigantesques incitant à la surconsommation, alimentant les inégalités sociales et dégradant notre planète : un modèle à revoir d’urgence.
Il fut un temps où les croisières étaient considérées comme l’incarnation du luxe et du plaisir. Une promesse d’évasion, de détente, de découvertes exotiques. Aujourd’hui, le tableau n’est plus aussi séduisant. Avec leur gigantisme effréné, ces immenses navires ont transformé l’image du tourisme de masse en une réalité inquiétante pour notre environnement et nos sociétés.
Le gigantisme au détriment de l’environnement
Le gigantisme des croisières est impressionnant : des navires pouvant transporter jusqu’à 7000 passagers, des buffets gargantuesques, des bars et des casinos sans fin. Cette démesure incite à la surconsommation de nourriture, d’alcool, mais aussi et surtout d’énergie. L’empreinte carbone d’un tel voyage est immense.
Le nouvel Icon of the Seas, conçu par Royal Caribbean, deviendra sous peu le plus grand navire de croisière au monde avec ses 40 restaurants, sept piscines et une moyenne de près de 7000 passagers à bord. Il mesure 365 mètres et pèse 250 000 tonnes, soit cinq fois plus que le Titanic. L’Icon of the Seas, c’est un paradoxe en soi, c’est un symbole du capitalisme débridé, c’est vraiment l’exemple parfait de la course vers la « surdimension » (Luc Renaud, professeur associé au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM.)
Mais la pollution ne s’arrête pas là. Ces géants des mers utilisent le fioul lourd, qui même avec des scrubbers, émet d’immenses quantités de soufre, de particules fines et d’autres polluants dans l’atmosphère, sans parler des déchets rejetés à la mer. Ce constat est encore plus alarmant lorsque l’on sait que le secteur des croisières est en pleine expansion. Les 218 navires de croisière européens ont émis 509 tonnes d’oxydes de soufre en 2022, contre 465 tonnes en 2019. Ce total impressionnant dépasse la quantité produite par un milliard de voitures, soit 4,4 fois plus que toutes les voitures du continent européen. (Juin 2023.)
Des navires, symboles d’inégalités
En plus de leur impact environnemental, ces navires sont également le reflet de profondes inégalités sociales. Derrière le glamour apparent, l’exploitation de travailleurs pauvres, souvent originaires des Philippines et de l’Indonésie, est une réalité. Mal payés, 9 mois sans sortir du bateau, ils assurent l’entretien des chambres, le service en salle, la buanderie, la cuisine… Le gigantisme de ces bateaux est non seulement un symbole de surconsommation, mais aussi de disparités socio-économiques criantes.
Un modèle en décalage avec les attentes actuelles
Amsterdam joint sa voix à celles d’autres villes, dont Venise, en Italie, et Santorin, en Grèce, qui limitent l’accès aux croisiéristes dans le but de réduire la pollution que génèrent ces navires ainsi que l’afflux trop massif de touristes. Le port mythique d’Amsterdam s’apprête à voir disparaître ses géants. Port d’arrêt d’une centaine de navires de croisière tous les ans, le tourisme de masse – de très courte durée – a fait son temps.
Amsterdam a adopté une motion pour que les bateaux de croisière accostent hors de son centre historique. On commence à voir des destinations qui osent dire aux industries du tourisme : « On ne veut plus de vous chez nous ou, du moins, pas en aussi grand nombre. » Alain Adrien Grenier, professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’ESG-UQAM. (Cité d’un article d’Érika Bisaillon, 23 juillet 2023, Radio-Canada info.)
Bilan environnemental peu enviable
Un seul navire de croisière émet l’équivalent en CO2 de 83 600 véhicules. Ses émissions de particules fines représentent plus d’un million d’automobiles.
À l’ère d’Internet et de l’intelligence artificielle, des milliards d’images et de vidéos nous décrivent les destinations, parfois mieux que la réalité. L’idée de parcourir des jours sur mer pour une escale de quelques heures semble de plus en plus anachronique. Attendre trois heures pour monter sur l’Acropole lors d’une escale de dix heures au port du Pirée en Grèce est devenu une situation risible et frustrante pour beaucoup.
Les croisiéristes semblent fermer les yeux sur la situation internationale. Il y a une guerre en Europe. Or, les navires font encore escale à Istanbul en Turquie. La ville d’Istanbul est connectée à la mer Noire par le détroit du Bosphore. La mer Noire est une zone de guerre. Pas très prudent…
De plus, l’accueil des populations locales dans les ports se fait de plus en plus froid. Le tourisme de masse, perçu comme un commerce envahissant et néfaste, provoque le rejet des habitants et dégrade l’authenticité des lieux visités. Il est donc impératif de repenser notre approche du tourisme, notamment en ce qui concerne les croisières. Plus respectueux de l’environnement, plus équitable sur le plan social, plus authentique dans l’expérience : c’est le défi que le secteur doit relever pour rester attractif et durable.
Les gigantesques bateaux de croisières pourraient bien devenir les dinosaures du tourisme du XXIe siècle.