Entrevue avec Francis Catalano

Une image de Francis Catalano portant des lunettes et une chemise verte. Une image de Francis Catalano portant des lunettes et une chemise verte.
Entrevue avec Francis Catalano. Par Ricardo Langlois

Ricardo – On s’est connu au Cégep, tu ne savais pas si tu voulais étudier en littérature, que s’est-il passé après?

Francis – Le Cégep est le lieu de tous les possibles. Entre pilote d’avion de ligne, comptable agréé ou orthodontiste, j’ai choisi l’écriture après un cours d’orientation professionnelle. La dame nous avait demandé de fermer les yeux et d’imaginer son avenir, de se projeter dans le futur. J’ai clairement vu une maison, un chemin, et moi qui marchais en solitaire. C’était l’image d’une vocation.

Francis Catalano avec Claude Beausoleil, 1987. Crédit photo : Antonio D’Alfonso

Ricardo – Tu as eu Claude Beausoleil comme mentor. Un professeur et un poète qui nous a laissé derrière lui de grands livres : Le chant du voyageur (1998 ) et De plus loin que le vent (2011). Comment s’est passé votre rencontre?

Francis – J’ai été surtout marqué à l’époque par La surface du paysage. Il y avait dans cette écriture un éloignement des codes conventionnels qui m’attirait. C’était très éclaté. Je l’ai rencontré au Cégep Édouard Montpetit où j’étudiais. Je n’étais pas en Lettres, mais nous organisions, un petit groupe de poètes groupés autour du journal étudiant Le Motdit, des soirées de poésie au salon étudiant. Toute la faune poétique de Montréal des années de la contre-culture et du formalisme se donnait rendez-vous. C’était très formateur.

Ricardo – Tu as rencontré ta femme en Italie. Tu as fait de la traduction. Que s’est-il passé à ce moment-là?

Francis – En tant qu’étudiant et boursier du ministère des Affaires étrangères d’Italie, je suis débarqué à Rome et j’ai étudié la littérature à l’université La Sapienza. Je suis parti pour me retrouver. Et qui ai-je trouvé? Ma femme. «Heureux comme avec une femme ». Comme dans le dernier vers du poème « Sensation » de Rimbaud.  

Crédit photo : Francis Catalano (selfie à Florence, Italie)

Ricardo — Il y a des moments clés durant ta vie. Des moments tu étais particulièrement fier de toi?

Francis – Je suis fier d’avoir renoué avec mes origines et de parler italien. Il a fallu que j’aille sur place. J’aime beaucoup l’Italie. C’est une source intarissable d’inspiration. Je suis fier de tous mes livres. Je n’en renierais aucun. Ils ont tous leurs places, à leur façon. Je suis content de mes choix.  

Ricardo – Il y a un livre particulier sorti en 2010, Qu’une lueur des lieux , un road trip avec un système d’idées, de métaphores. Un livre de création, un éclatement du temps Réel, parlemoi de la création de ce recueil?

Francis – J’ai composé les poèmes de ce livre en parallèle avec la préparation d’une anthologie sur la poésie italienne contemporaine. C’est curieux, parce que Qu’une lueur des lieux se passe en Amérique du Nord, les road poems filent entre les villes des États-Unis, les campagnes américaines, et le moteur est en quelque sorte italien…

En fait, le moteur de ce recueil est phonétique plus que sémantique. Le sens est à la remorque des sons. Ce qui m’importait dans l’écriture de ces poèmes, c’est la musique, la musicalité, et advienne que pourra avec la signification. Malgré un long silence radio, Qu’une lueur des lieux s’est retrouvé finaliste aux Prix du GG et s’est mérité le Prix Québecor du FIPTR. À ce jour, c’est mon livre qui a le plus marché.

Ricardo – Dans ton parcours, tu as écrit trois livres en très peu de temps. L’origine du futur (2021) à mi-chemin entre l’essai et le roman. Une grande puissance d’évocation. Ce besoin dantesque de comprendre l’histoire de l’humanité avec des clins d’œil à la modernité. Tu parles du band de ton fils, The Nils. Comment t’es venue l’idée de ce livre qui est un OVNI pour moi?

Francis – L’origine du futur vient d’espaces lointains, en effet. De mon espace mémoriel. Je remonte aux origines de ma présence en Amérique, en commençant par ce soldat allemand engagé comme tambour et qui se retrouve sur les plaines d’Abraham en 1759, comme catapulté, face à l’armée de Montcalm. Cet ancêtre germanique, un peu plus loin – deux siècles et demi plus tard -, devient mon fils, qui joue réellement de la batterie, notamment pour le groupe The Nils. Il est parachuté aux Foufounes électriques. J’aime cette idée que la passion de mon fils pour la batterie et son talent, soit inscrit dans son ADN.

Dans L’origine du futur je donne voix à mes ancêtres, qui ont façonné le pays. C’est aussi un portrait de l’immigration en Amérique, en commençant par Homo sapiens venu soit disant par le détroit de Béring. Mon père qui fait la traversée en bateau depuis Naples, en 1953. Mon fils qui raconte son road-trip en Californie avec ses parents – c’est-à-dire nous. Ma grand-mère qui a traversé le Montréal du crash boursier, de l’entre-deux guerre, qui a perdu son mari à l’âge de 33 ans, s’est retrouvée avec huit enfants sur les bras… Tous ces portraits de famille sont entrecoupés de textes poétiques qui parlent de la genèse du territoire. C’est très dantesque, comme tu dis. Nous sommes dans un texte foisonnant.

Ricardo – Un autre très beau livre, Qu’il fasse ce temps paru en 2020, une certaine obsession sur le temps qui passe, la mémoire, je pense à la nouvelle Errer comme dans un musée. Tu es contemplatif, tu observes, tu analyses… Aimes-tu notre époque? Le mouvement woke? Es-tu comme ça dans la vraie vie?

Francis – Les sept ou huit nouvelles de Qu’il fasse ce temps ont ceci de particulier que chacune est écrite en suivant un temps des verbes propre à cette nouvelle. «Errer comme dans un musée » est écrit à l’infinitif. Tout se passe dans ce temps, l’infinitif, un temps suspendu, un temps de l’inaction, presque non verbal, où tout s’arrête. C’est pourquoi j’ai campé cette nouvelle dans un musée en Espagne. C’est très contemplatif en effet, philosophique. Un spectateur devant un tableau.

Le mot woke me fait un peu peur. J’ai l’impression qu’il ne nous appartient pas. On lui donne le sens qu’on lui veut et on l’utilise à des fins politiques, sociales, personnelles … c’est un mot et un mouvement qui divise plutôt qu’unir. C’est un aveuglement, une diversion. Pendant qu’on déboulonne des statues, il y a de vrais esclaves dans le monde, encore aujourd’hui. Je crois tristement que ce mouvement vient du No future. On ne peut pas effacer le passé. On peut apprendre de lui. Ne pas reproduire les mêmes erreurs.

Ricardo – Si tu permets, Francis, je veux souligner à quel point tu es généreux dans ta personnalité, dans ta façon d’être. Il y a de la sagesse dans ton écriture. Un écho que j’ai ressenti. Une forme d’idéalisme. Un travail ruisselant (disait Christian Bobin ). Ton écriture me parait unique, as-tu des poètes ou écrivains qui t’ont vraiment influencé?

Francis – Des écrivains qui m’ont influencé, je ne sais pas.  Mais il y a deux écrivains, en des moments charnières de ma vie, qui ont été des étincelles, des bougies d’allumage d’écriture : Michael Delisle et Valerio Magrelli.

Le premier dans les années 80, quand j’ai commencé à écrire. Le second dans les années 90, quand j’avais cessé d’écrire, et qui m’a ramené à l’écriture, bien malgré lui. Concernant Michael, c’est curieux. Nous avons appris sur le tard, assez récemment, que nous sommes allés au même pensionnat, à la fin des années 60. Sans le savoir, nous nous sommes fréquentés au pensionnat Sainte-Élisabeth, rue Pie-IX près de Rouen. Nous nous sommes fréquentés plus tard au Cégep, et à l’université. «Inconsciemment», il m’a donné le goût de l’écriture. Magrelli, qui est un poète italien important, il vit à Rome, m’a fait renaître en quelque sorte comme écrivain. En le lisant, j’ai eu envie de le traduire en français, de le faire connaître au Québec et au Canada. Un univers s’ouvrait à moi, alors que je croyais mon inspiration éteinte.

Ricardo – Je termine avec ton dernier livre, tu m’as dit, il y a quelque temps, que ce recueil représente dix ans de travail d’écriture. Est-ce que tu considères Climax comme l’aboutissement de ton œuvre?

Difficile à dire. Comme un 100 mètres en athlétisme. Parfois, en temps réel, on ne saurait dire qui est arrivé premier. Dans une course serrée, il faut examiner la photo. Au « photofinish », on peut alors dire dans quel ordre les coureurs ont franchi la ligne d’arrivée. Je ne saurais dire lequel de mes livres a atteint le premier cet aboutissement. Climax résume très bien mon parcours comme poète. C’est un livre où le contenu, c’est-à-dire le temps vu à travers les saisons et le climat, a trouvé la forme qui lui convient le mieux.

Le poème circule en deux courants : un aérien au haut de la page, en vers libre, on dirait des haïkus et ça représentent le courant-jet; et un autre sous-marin, ou océanique, au bas de la page, là le poème en prose est détraqué, nous nous retrouvons dans une espèce de délire, tout va vite, et c’est la circulation thermohaline. Le climat de la terre est tributaire de ces deux courants. En ce sens, au photo finish, je peux dire que Climax a atteint ses objectifs.

Photo principale :  crédit : Claude-Simon Langlois

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Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com