Le cabinet de curiosités… littéraires

Une photo littéraire d'un homme en chemise à pois. Une photo littéraire d'un homme en chemise à pois.
Le premier ouvrage de Didier Guillot vient de paraître aux Éditions La Trace.  Son récit, J’ai appris à rêver (sur les pas de Stevenson), ne nous mène pas sur les pas de l’écrivain écossais (même si ce dernier a traversé la France pour séjourner à Menton), mais plutôt sur ceux d’un frère disparu… retrouvé au fil d’une marche contemplative.

Beaucoup de finesse et de profondeur dans ce texte très poétique. Parmi les phrases parfois alambiquées, surgissent des perles de réflexion, des tournures uniques, étonnamment originales. Ainsi, dans la mer des banalités envahissant les librairies, il est encore possible de lire les chemins, les arbres, le ciel, les tempêtes, le lichen, différemment. S’émerveiller de nouveau. Être invité à rire alors qu’on ne s’y attend pas, au fil d’une narration truffée de références éclectiques.

L’homme est seul, il avance. Aussi candide que lucide. Authentique. Il avait besoin de se retrouver. « À mon humble niveau, précise-t-il, je redessine le mythe de Sisyphe aux enfers. Mon sac devient lourd comme son rocher. » Il croise du monde, bien sûr. On lui pose la question : est-il « si malheureux pour préférer la compagnie des cloportes à celle des hommes »? Réponse muette : « Que le bruit du monde agace! » Tout est là. Dans l’observation silencieuse, on voit tout, mieux – Guillot y parvient fort bien, mis à part les inévitables lieux communs dont celui «des États-Unis et de leur vision détestable». Cela dit, l’auteur rappelle avec bonheur la vision d’Emerson. « …La marche en pleine nature n’est pas un acte anodin, elle tend à rendre l’homme meilleur, à réparer son âme et son corps. » Le périple en solitaire, neige, pluie, vent, soleil, est concluant. Tout au long de la randonnée, parfois difficile, toujours passionnante, le marcheur a pansé quelques blessures, il est en paix. 

La lecture de cet opus est en soi une marche à l’aveugle; on suit le guide, Guillot, qui mêle tout et son contraire, sublime passé et triste présent, ou l’inverse. Quant à l’avenir, seul l’instant compte. Une sorte d’ode à la lenteur, à la progression, à l’acceptation, avec, ici et là, des descriptions et des observations très justes, inspirées. Celle des quadistes : « une peuplade roulant sur des motos à quatre roues, euphorique à l’idée de se couvrir de boue arrachée au sol ». Celle de l’agriculture : « Piégé par des défis inutiles, le fermier ne connaît plus la joie de voir dans sa terre autre chose qu’un outil de travail. » Celle des éléments: « Le temps s’énerve. Le ciel vomit toute sa rancœur, aidé par un vent de mauvaise humeur. […] La pluie tape aux flancs, se déchaîne en dessus, crache en dessous. »

L’auteur est juriste, autrefois ouvrier, certainement écrivain.

Didier Guillot

Guillot Didier, J’ai appris à rêver (sur les pas de Stevenson), Éditions La trace, 172 pages. 

Dans le registre de la réflexion, Daniel Odier signe une lettre poétique invitant également à la contemplation et à l’émerveillement. Lettre à Éléonore, destinée aux enfants, mais aussi aux adultes, pose huit questions essentielles sur la vie. À la troublante question « À quoi ça sert de vivre je n’ai que des soucis dans la vie », qui pourrait angoisser plus d’un jeune esprit, ou encore le toucher si celui-ci est profondément souffrant, cet auteur suisse extrêmement prolifique propose une réponse apaisante : «Mieux tu te sens, plus tu peux observer comme c’est beau d’être en vie, de simplement marcher, d’entendre le chant d’un oiseau, de toucher un marron, de goûter la saveur d’une pomme […]. La vie ça sert à ça, à être pleinement vivant. » Un des principaux intérêts de ce texte tiré du Grand sommeil des éveillés est son actuelle réédition, illustrée par Annouchka Gravel Galouchko, fille d’un Russe et d’une Canadienne. Les dessins de ce livre sont tirés d’un seul tableau; ces riches illustrations évoquant autant de « blessures d’un vieux sac à cauchemars rapiécé » – ce sont les mots d’Annouchka – ont ce quelque chose de magique en ce sens qu’ils ouvrent la porte à l’invisible; un chemin pour retrouver « notre visage originel, celui que nous avions avant que naissent nos parents ». Cet ambitieux programme, dont l’intention est louable, oscille entre la lumière et l’obscurité, les propos limpides et les envolées tortueuses. Si certaines descriptions verbeuses peuvent dérouter le lecteur, ce n’est jamais le cas des dessins. L’iconographie d’Annouchka lui ressemble : elle émane l’amour, le désir de paix, le respect, la fascination du sacré, parfum d’un héritage slave. Cependant, dans cet album de bonne volonté, l’essentiel est traité : « Le cœur, c’est la vie, c’est ce qui bat en toi, c’est ce qui s’étend lorsque tu es heureuse et qui devient petit lorsque tu es triste. » 

Tout le monde est Éléonore.

Daniel Odier

Annouchka


Daniel Odier,
Lettre à Éléonore, Huit questions essentielles sur la vie, dessins d’Annouchka Gravel Galouchko, Le Relié, 2022, 34 p.

Talhuic, l’apprentissage d’un jeune chamane, s’inscrit aussi dans la thématique de la spiritualité, du voyage au cœur de l’être. L’auteur, Marc de Smedt, français spécialiste des techniques de méditation, propose une nouvelle version du parcours de son personnage. Conte initiatique. Bestiaire. Au fil de son aventure dans la nature, à la rencontre des éléments, des animaux, un jeune homme « réalise une harmonie primordiale qui seule peut rendre, et donner, à l’être humain dignité et forces de dépassement engendrant en lui un processus d’évolution ». Bien sûr on pense à Castañeda, toutes proportions gardées, l’écrivain américain d’origine péruvienne restant inégalé. L’intérêt de la réédition de cet album? Les illustrations en noir et blanc de Stéphan Daigle, artiste québécois et compagnon d’Annouchka. Daigle a une vision ouverte et sentie, d’une profonde et très originale américanité, pour ne pas écrire originelle; ses dessins vivent, ils sont troublants et mystérieux, riches d’enseignements. On y chemine accompagné de Talhuic, on souhaite s’y arrêter et relire certains passages. « Tu es un chasseur qui a des problèmes, car le destin fait que tu comprends le langage des autres espèces. » Ce cocktail entre un Français et un Québécois est savoureux, pimenté, différent. Ça fait du bien de dériver du formatage, le temps d’un voyage en mots et en images. 

Annouchka Gravel Galouchko et Stéphan Daigle travaillent de concert et chacun de leur côté. Cependant, ils partagent une vision de la vie bien à eux, pénétrante, à la fois humble et sans compromis, connectée avec le Tout. Il serait intéressant de voir ce que ces artistes penseurs pourraient créer avec Didier Guillot – ils ont en commun ce recul tranquille sur les choses, un recul ardent, respectueux.  Les êtres se rencontrent parfois au fil de chemins dont ils ignoraient l’existence.

Marc de Smedt

Stéphan Daigle


Marc de Smedt, Stéphan Daigle,
Talhuic l’apprentissage d’un jeune chamane, le Relié, 2022, 122 p.

Photo principale : Didier Guillot

Poésie Trois-RivièreMains Libres

Auteur de romans, d’essais et de biographies, Marie Desjardins, née à Montréal, vient de faire paraître AMBASSADOR HOTEL, aux éditions du CRAM. Elle a enseigné la littérature à l’Université McGill et publié de nombreux portraits dans des magazines.