Hommage à Jacques Brault par Ricardo Langlois.
Un jeudi noir. J’ai pleuré comme un enfant. Je me suis souvenu de mes conversations avec le poète Jean-Marc Fréchette sur Monsieur Brault. Les deux hommes étaient croyants. J’ai toujours été sensible à la poésie de Nelligan, Miron le magnifique et Saint-Denys Garneau. Il en parle avec amour dans son essai Chemin faisant. (1) Un essai symbolique pour moi.
La découverte de la poésie
Il parle d’une blessure inguérissable. Son premier amour d’enfance, Pauline qui doit déménager. Elle lui laisse un cadeau qui va changer sa vie : une vieille grammaire qui explique les règles avec des poèmes. Il tombe sur cette phrase de Verlaine : I
Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville. Verlaine l’embarque dans une aventure qui sera sa vie. Il deviendra poète. L’amour et la poésie. Le reste n’a pas d’importance.
Écrire, pour comprendre la Vie. L’idée de se perdre dans les mots comme moi. J’ai eu la musique rock et la guitare. Mais la solitude du poète. Chercher par tous les moyens le miroir des mots. Le monde est fait pour aboutir dans un livre, disait Mallarmé. Mais en attendant ? Je n’attends pas. J’écris. Je marche avec les autres vers cette existence possible. Aux pires moments, les creux tout en vertige, les pleins d’angoisse à craquer…(p.19)
Je me vois en train de recopier les chansons d’Harmonium, les poèmes les plus tristes de Nelligan. Son amour fou pour sa mère. Être seul parce que tu n’aimes pas le sport. Écouter de la musique et lire des livres de poésie. Mon père n’arrêtait pas de dire : tu devrais te faire une blonde ? J’étais en amour avec mon meilleur ami. Il fallait que je sache tout sur n’importe quel musicien ? Tu es dans ma vie à jamais. Il riait quand je lui lisais : Mon âme, ah ! La fatalité d’être une âme douce et mystiquement tendre… (2) On essayait de mettre de la musique sur des poèmes. Jamais je n’oublierai nos fous rires dans la Lumière.
Jacques Brault
Moments fragiles
Je suis journaliste au journal Pop Rock. J’ai réalisé un rêve. Même mon ami Michel n’en revient pas. Malgré toute la musique rock et mon nouvel ami, je cherchais le Silence du poème. J’ai lu Rimbaud, Lautréamont, Saint-Denys Garneau… Trop de mots. Trop d’images. C’est ce livre Moments fragiles (2) qui sera comme une bouteille à la mer. Tu as beau te maquiller les yeux, avoir l’air d’un rockeur, je cherche autre chose… La paix, la douceur de vivre. Je lis ceci :
Je gravis ma colline
Et je m’assois solitaire
Sous un ciel vide
À mes pieds s’endort
Comme un chien ma tristesse (p.47)
Ou simplement des fragments (comme des petits bouts de poèmes) oubliés :
De bon matin j’ai ouvert la porte
À mon ombre elle grelottait d’étrangeté. (p. 76)
Le chemin par où je suis venu
Je l’ai oublié le chemin lui non plus
Ne sait où aller. (p. 86)
Jouir de la vie. Espérer des jours heureux. Je dois beaucoup à mon ami Denis, grand amoureux de la Bible et de Gilles Vigneault. C’est un peu lui qui m’a fait découvrir les écrivains québécois. À l’Université, je découvrirai Marie Uguay, Paul Eluard, le grand Barthes….Je l’avoue, ici, j’ai failli tomber dans la schizophrénie. J’ai été bien entouré à partir du Cégep. Oui, c’est vrai, j’entends des voix dans ma tête : celles de Miron, Nelligan, Anne Hébert et Jacques Brault (depuis jeudi dernier). Je suis enténébré, dépaysé, la vie file à 200 milles à l’heure. J’ai tant de poètes encore à découvrir.
Notes
1. Jacques Brault, Chemin faisant. Essai publié pour la première fois en 1975. Chemin faisant rassemble une vingtaine d’essais écrits au cours des années 1960.
2. Émile Nelligan, Poésies complètes. Typo 2002.
3. Jacques Brault, Moments fragiles. Éditions du Noroît. 1984.
Jacques Brault est décédé le 19 octobre 2022 à 89 ans à Cowansville.
Poète, romancier et essayiste, Jacques Brault (né à Montréal en 1933) poursuit des études classiques au Collège Sainte-Marie puis à l’Université de Montréal, où il obtient un baccalauréat en philosophie et une maîtrise en arts ; il étudie également en France, à Paris et à Poitiers. De 1960 à 1996, il est professeur à l’Institut des sciences médiévales et au département d’études françaises de l’Université de Montréal…. Depuis 1970, il collabore à de nombreuses émissions littéraires pour Radio-Canada FM et sur les ondes de la Communauté radiophonique de langue française.
Traduite en plusieurs langues, l’œuvre de Jacques Brault a été récompensée par de nombreuses distinctions : le Prix Québec-Paris pour Mémoire en 1968 ; le Prix Duvernay en 1978 ; le Prix Athanase-David en 1986 ; le Prix du Gouverneur général du Canada 1970 pour sa pièce de théâtre Quand nous serons heureux publiée dans Trois Partitions, et pour son roman Agonie en 1985. En 1991, il reçoit le Prix Alain-Grandbois pour Il n’y a plus de chemin. En 1996, il reçoit le prix Gilles-Corbeil pour l’ensemble de son œuvre. En 1999, sa traduction de l’œuvre d’E. D. Blodgett (Transfiguration) lui vaut le Prix du gouverneur général. La Société des écrivains francophones d’Amérique lui décerne en 2007 son Prix de poésie, pour l’Artisan.