Marie-Claire Blais, Augustino ou l’illumination

Une femme aux cheveux bouclés regarde quelque chose dans le noir, son expression mystérieuse et énigmatique. Une femme aux cheveux bouclés regarde quelque chose dans le noir, son expression mystérieuse et énigmatique.
Hélène Dorion parle de Marie-Claire Blais comme “un cœur habité de mille voix”. Suite à une rencontre au Salon du Livre de Paris en 2003, les deux autrices sont devenues d’inséparables amies (1).

L’an dernier, suite à ma critique de son livre “Un cœur habité de mille voix”, Madame Dorion m’avait confié qu’elle avait beaucoup aimé mon texte et que Marie-Claire Blais serait informée de mon appréciation. J’ai eu la chance de la rencontrer au Salon du Livre pour son livre “Soifs” en 1996. Elle me parlait comme si nous étions des amis proches. À ce moment précis, je savais que je parlais à une autrice douée. Je lui avais confié que sans la découverte de Sylvain Trudel (2), je n’aurai jamais entrepris des études à l’Université. Marie-Claire Blais, c’est la passion pour les solitaires, les artistes, les démunis. C’est surtout un chant fluide dans une immense constellation.

Soifs ( Un cycle de 11 romans )

Ce projet-phare de son œuvre c’est “Soifs”, le miroir de l’actualité américaine. L’écrivaine est visionnaire. Elle est du côté des minorités sexuelles et raciales. Dans son roman “Un cœur habité de mille voix” (3), elle abordait notamment les droits pour la communauté LBGTQ+. L’écrivaine ne suit pas le courant des choses. Comment s’accrocher à l’aile du temps ? Où trouver les années de la contre-culture sans le partage de toutes les communautés visibles ? La mémoire, les rêves, découvrir ce qu’il y a de plus beau chez les êtres humains, entre mort et vie. Les lecteurs (lectrices) apprennent des fragments par l’histoire (la mémoire sismique). L’espoir d’une humanité qui redécouvre l’Éden dissimulé au-delà du bruit et des guerres. Il aura fallu 11 romans. “Soifs” est une longue réflexion sans fin sur l’humanité. Le cycle “Soifs”, selon moi, s’adresse à la jeunesse, à l’idéal d’un monde meilleur avec une plus grande compréhension de la Conscience. Qui va changer le monde et comment ? Les révolutions ou les Empires ?

Augustino, notre Rimbaud

Augustino, cet écrivain adolescent, dans le style de Rimbaud, qui s’envole en Inde pour aider les démunis. Un autre livre “Petites cendres ou la capture” (4) est un livre visionnaire. La grande épidémie. Une métaphore puissante qui annonçait le fameux coronavirus.
96 pages qui s’ajoutent à une œuvre puissante et atypique, écrite entre 1995 et 2020. Une exploration personnelle sur les enjeux du XXe siècle. Augustino avait à peine quatre ans dans “Soifs” (1995). On parlait à cette époque de la Guerre du Golfe. Était-ce le début de la fin de l’humanité ? Ce livre, je l’ai acheté. Je ne pouvais pas attendre. Je suis addict à ses belles grandes phrases. Tout de suite dès la première ligne : “Il fallait être partout où régnait la vie, tout entendre, tout savoir, pensait Augustino, ne plus se restreindre à n’habiter que son corps, mais reconnaître les corps vivants aussi bien que les corps en cendres dont il respirait l’odeur près de la plage, Augustino n’écrivait-il pas le livre de sa vie dans ces halètements d’agonie de la Terre, survivrait-elle cette terre (…)”

La tragédie du Réel

Augustino voit tout, cristallise tout. Le cœur meurtri. L’ado en rébellion. Cette syntaxe envoûtante interpelle de manière sociologique. Le racisme systémique, la déshumanisation du monde contemporain. Je l’avoue, j’ai lu ce livre en même temps que j’ai eu la Covid. Ce livre est un jardin de fleurs pour moi. On pourrait résumer ce dernier livre par la tragédie du réel (ce foutu 21ème siècle). Je pense au poète Yves Préfontaine :

“On va. On cherche ou on va. On ne sait pas. On cherche l’issue” (5) ou “au fond, c’est de vivre en dehors de toute présence, de consentir à cette ambiguïté ontologique” (6) plus loin, il dira “c’est la fin d’un monde” (idem). Ce livre est un testament inachevé. Il s’agit du début du douzième livre du cycle “Soifs” …

Marie-Claire Blais est décédée le 30 novembre 2020.

Notes

1. Entrevue Le Soleil, 1er décembre 2021.
2. Sylvain Trudel. Le souffle de l’harmattan , son premier roman (1986) a changé ma vie à jamais. En 2010, son nom figurait sur la liste des dix meilleurs auteurs de la décennie selon La Presse.
3. Un cœur habité de mille voix, 2021. Ce dernier roman figure dans le top 15 de lametropole.com
4. Petites cendres ou la capture figure dans le top livres de 2020 sur Lametropole.com
5. Yves Préfontaine, Terre d’alerte. Anthologie Typo. P. 330.
6. Mathieu Bélisle, Ce qui meurt en nous, Leméac, 2022.
Marie-Claire Blais, Augustino ou l’illumination Boréal. 2022.

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Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com