Xenos : Akram Khan à la recherche de l’humain perdu

Akram Khan Akram Khan

Du 13 au 16 février 2019, le grand chorégraphe et danseur britannique Akram Khan a présenté Xenos, un fascinant solo très entouré, en vérité, par six magnifiques musiciens de musique indienne et occidentale sur scène, programmé pour la septième fois à Montréal par Danse Danse. 

Akram Khan a annoncé que ce solo Xenos achèvera sa carrière d’interprète soliste. Est-ce pour cela qu’il a osé y aborder ce qu’il dit être le sujet le plus proche de lui, celui qui lui collait tellement au cœur et à l’âme qu’il aura attendu de tirer sa révérence pour nous l’offrir en guise d’ultime confidence. Une confidence entre humains, à propos du meilleur, mais surtout du pire de l’humain. 

Et quel est le pire de l’humain ?

Son extraordinaire ingéniosité destructrice, son génie meurtrier, son infinie certitude d’avoir le droit de s’ériger dieu, disposant du pouvoir de vie, et surtout de mort, sur ses semblables, ainsi ravalés au sous-rang de non-semblables, de différents, d’autres. L’autre, cet éternel étranger. Xenos, justement, veut dire étranger en grec ancien. Être étranger, autre, différent, transculturel, c’est l’essence même d’Akram Khan, c’est son identité. Alors pour sa dernière création solo, il a choisi de s’inspirer — il l’a créée en 2018, centenaire de la Grande Guerre de 1918 —, de l’histoire d’un soldat indien qui, comme des milliers d’autres, a combattu au sein de l’armée britannique, et en tant que sous-Anglais en quelque sorte, envoyé en première ligne sur le front. C’est l’histoire, toujours révoltante, des soldats des colonies de tous les pays, les Français magrébins, les tirailleurs sénégalais, les Italiens éthiopiens, voire les soldats québécois de l’armée britannique… Une injustice qui est un déclassement qui devient une blessure indélébile, non seulement individuellement, mais collectivement. Une honte aussi. D’autant qu’évidemment, tout a terriblement empiré sur ce point depuis 1918. 

Pour dire sa vision de ce monde, de l’humain qui joue à être Prométhée, pour dire, sans doute, des blessures personnelles, les siennes ou celles de ses parents immigrés, Akram Khan a mobilisé toutes ses dernières forces de soliste pour livrer un spectacle prenant, captivant et bouleversant, livré sur le fil du rasoir avec l’extraordinaire virtuosité, l’insensée rapidité leste et souple, qui le caractérisent. Sublimement servi par l’incroyable scénographie signée Mirella Weingarten qui transforme la scène en une pente à gravir ou d’où dégringoler, comme de la montagne de nos idéaux ou de notre propre humanité qui sait… – il se lance dans le vide, à peine accroché à quelques cordes fragiles. Dans le vide littéralement, physiquement, et au sens figuré. Avec la voix de ce soldat indien en toile le fond, la voix d’un mort, de tous ces morts, ces humains sacrifiés, qu’Akram Khan ne veut pas que nous oubliions, même si l’Histoire leur a roulé dessus et les enterrés là, sous des tonnes de boue et de cailloux. De la terre et des roches que l’on retrouve sur scène, avec lesquels Khan lutte avant de s’avouer vaincu. Vaincu dans son humanité, et la nôtre.

Xenos

Le futur

« Je ferai encore sans doute quelques apparitions dans des pièces courtes, mais plus de spectacles longue durée, a-t-il expliqué au quotidien Le Monde avant la présentation de Xenos au festival Montpellier Danse qui l’a reçu une fois de plus en vedette en juin 2018. Mon corps ne peut plus le supporter. Le travail et l’entraînement pour danser Xenos ont été terriblement exigeants. » Pourtant, il continue à époustoufler sur scène alors on se désespère encore plus de ne plus le voir danser, lui, même si, heureusement, il poursuivra son travail de chorégraphe pour sa compagnie créée en 2000. 

Il y aura d’autres occasions, donc, de revoir son univers à Montréal. Bientôt. On l’espère. 

Poésie Trois-RivièreLe Pois Penché

Parisienne devenue Montréalaise en 1999, Aline Apostolska est journaliste culturelle ( Radio-Canada, La Presse… ) et romancière, passionnée par la découverte des autres et de l’ailleurs (Crédit photo: Martin Moreira). http://www.alineapostolska.com