Époque post-colonialiste. Instrumentaliser l’histoire pour en faire une romance philosophique à plusieurs facettes. Un exercice de réappropriation du sens de la vie.
Les luttes, les combats évoquent un idéal. Il y a des pages d’anthologie : l’amour, dit-il à Verlaine, est le décentrement de l’existence par l’être aimé. L’amour déçu est la néantisation de l’être au monde (p. 133).Nous sommes en mai 1870. Manon Blanche la mystérieuse (malgré les tensions politiques européennes) représente la souffrance bouffée par la vie. 1871 : insurrection de la Commune (et ses bains de sang). On rencontre Pierre Claes, anéanti par l’opium qui offre son corps à l’art du tatouage par Xi Xiao. L’amour romantique (sujet plus complexe) s’installe entre Thomas Brel et Camille Claes. Car comment vivre sans amour ? L’extase adolescente, le désir…Peut-être, réduire la mort avec une thérapie active pour s’inviter à mourir de son vivant . (1)Même la Vierge Marie n’est pas épargnée : Et Thomas vit la Vierge relever ses jupes et s’accroupir et pisser devant lui (p. 175). Thomas est-il en train de perdre la tête ? Il pleure son père à travers ses peintures. Y a-t-il une faille ? On apprendra que son père s’est suicidé.S’agit-il d’un roman d’amour ou d’un roman historique ? Pour ma part, je me suis laissé séduire par le lyrisme de l’auteur.Thomas Brel s’envole vers le soleil. Le soleil était le visage de son père (p. 183). Interrogation sur le sens des mots : N’avez-vous jamais pensé àêtre immortel ? (p. 195). La filiation ancestrale a-t-elle son importance ? Sa pertinence ?Le lecteur (lectrice) pourra fantasmer à sa guise sur les images des spirales de Xi Xiao, les mille oiseaux qui chantent, grâce à l’esprit gonflé d’opium et de rêves. On croirait lire les poèmes de Rimbaud. L’auteur rêve. Pierre Claes rêve de silence, de mort, de milliards d’années. Au cœur de l’enfer colonial, il y a la rage, le feu du pouvoir.Depuis les temps les plus reculés, des hommes disent recevoir des signes ou des messages de puissances transcendantes. En Inde, on les appelle des rishis (des voyants). À la lumière de ma lecture de Ténèbre, j’y vois la figure de Dieu qui flotte, qui émerge, et même si le monde est mathématique (p. 290), le désir se divise entre le Bien et le Mal. On y sent l’abandon du père (pourquoi m’as-tu abandonné ?). Occulter le Monde depuis la nuit des temps…Voilà une œuvre bien construite. Une œuvre de fiction franchement mystique. Car qu’on le veuille ou non, la vie a un sens, une dimension sacrée. Même si l’histoire touche à la colonisation de l’Afrique, la trame cachée est en fait un récit d’hallucinations où magie et érotisme se fondent dans un vertige trivial sans foi ni loi.Dans cette lecture initiatique, il y a un poème de Goethe (p. 239) qui me semble une piste à explorer. Qui est Pierre Claesdans ce destin au lyrisme salvateur ?Notes