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Anne Hébert, vivre pour écrire

Une photo en noir et blanc d'Anne Hébert souriante. Une photo en noir et blanc d'Anne Hébert souriante.

Anne Hébert est entrée en littérature comme en religion. Elle y a consacré sa vie, faisant de son œuvre sa passion et fuyant les feux de la célébrité que d’autres poursuivent. Bien qu’elle ait connu le succès, que ses livres aient obtenu les prix les plus prestigieux et que ses lecteurs lui vouent un culte, elle reste nimbée de secrets. Loin des indiscrétions médiatiques, elle a su entretenir sa légende en protégeant sa vie privée de sorte qu’elle a nourri au fil du temps une aura de mystère qui attise encore aujourd’hui la curiosité. Depuis sa disparition, en janvier 2000, une biographie s’imposait. Après quinze années dédiées à ce travail, Marie-Andrée Lamontagne a relevé le défi avec Anne Hébert : Une vie pour écrire, publiė chez Borėal.

La tâche n’était pas simple. Il fallait répondre aux attentes des fidèles admirateurs de l’autrice de Kamouraska. Ils ne sont pas déçus, car le résultat est truffé de nombreux détails. Pour ce travail, Lamontagne a enquêté des deux côtés de l’Atlantique, a fait des recherches, a interrogé ceux qui avaient connue Anne Hébert et surtout les a convaincus d’accepter de dévoiler des bribes de cette vie à l’ombre des rumeurs. Cependant, Lamontagne avoue : «Très tôt, j’ai compris que je ne saurais jamais le secret de cette personne. »  Il n’y a donc pas de révélations surprenantes dans cette biographie, dont le modèle est celui que François Ricard a utilisé pour rédiger son ouvrage sur Gabrielle Roy, François Ricard qui fut par ailleurs le directeur littéraire de Lamontagne. Anne Hébert décrivait elle-même sa vie comme étant d’une grande banalité. Pas de tragédies, des amours cachées, un quotidien basé sur une routine monacale ; le portrait d’Anne Hébert est celui d’une femme dévouée à son art, qu’elle plaçait au-dessus de tous les plaisirs de l’existence.

Née en 1916 à Sainte-Catherine-de-Fossambault, Anne Hébert a connu une enfance choyée, surprotégée par une famille aisée, aimante et cultivée. De santé fragile, elle trouva refuge dans les livres et la nature. C’est dans ce cadre enchanteur qu’elle côtoie son cousin Hector de Saint-Denys-Garneau, de quatre ans son aîné, et dont on devine linfluence sur ses premiers poèmes, même si dans une lettre que cite Lamontagne, Hébert réfute le terme de mentor à son sujet. Leurs liens, ténus et subtils, furent sans doute sublimés par la mort tragique de ce poète dont le cœur a flanché à trente et un ans. Lamontagne ne croit pas à leur complicité amoureuse. Pourtant Anne Hébert a écrit cet hommage un an après sa disparition : « Il habitait le paysage. Nous avions mis nos royaumes en commun : la même campagne, le même été. ». Pour sa part, Marie Desjardins, écrivain et biographe, penche plutôt dans le sens d’un lien très spécial entre ces deux poètes – fascination réciproque, amour absolu. Elle le décrit dans « Relire Anne Hébert, une enfant chargée de chaînes, de songes, de secrets », et dans ses essais, Biograffiti et Chroniques Hasardeuses.

Suivant un ordre chronologique traditionnel, la biographie de Lamontagne, comptant plus de cinq cents pages, dépeint une femme déterminée à se faire un nom dans le milieu littéraire. Participant à des concours, elle est acclamée très vite par les critiques. Profitant de bourses et de subventions (sans lesquelles elle n’aurait pas pu écrire librement, avoue-t-elle à la fin de sa vie), elle s’établit à Paris au début des années soixante. « Au Canada, écrit-elle à sa mère, je sais très bien que rien ne m’arrivera plus jamais, surtout pas d’amour. » Elle réussit à être publiée au Seuil, là où plusieurs ont tenté, et tentent encore en vain de pousser les portes d’une maison d’édition française. Car sous ses allures d’éternelle « petite fille », comme elle se décrit, Anne Hébert a de l’ambition, du cran, elle sait ce qu’elle vaut, ce qu’elle veut et elle sait comment s’y prendre. Elle saisit les rouages du milieu littéraire où la chance et les réseaux de relations comptent autant, sinon plus, que le talent. Son éditrice au Seuil dira qu’il y avait quelque chose de violent en elle, qu’une énigme sombre la définissait. Timide et réservée, elle a du charme, de l’élégance et de la distinction. Sa beauté classique séduit les femmes autant que les hommes, de Mavis Gallant à Monique Bosco, de Jean Cayrol à François-Régis Bastide. Ceux qui l’approchaient l’aimaient, la protégeaient, la défendaient, l’aidaient. Pour qu’elle puisse participer à un concours, dont elle remportera le premier prix, un jury acceptera qu’elle remettre en retard son manuscrit. Pendant des décennies, les récompenses, les distinctions, les honneurs pleuvent sur son œuvre. À soixante-six ans, en 1982, elle vit une véritable consécration : les dames du Fémina lui décernent leur prix pour Les Fous de Bassan.

Et l’amour ? On disait qu’elle préférait les femmes. Lamontagne insiste plutôt sur la liaison d’une quarantaine d’années avec l’éditeur français Roger Mame. Ils se rencontrent en 1963, ils ont le même âge et des affinités électives qui les unissent, telles la musique et la littérature.  Pendant leur idylle, l’amie canadienne, comme on la nomme, passera de longs séjours au prieuré de Clos-Lucé, la propriété de cette famille catholique.  Généreux, amoureux, le dandy Roger Mame l’aidera financièrement à son arrivée à Paris. Le couple est libre et indépendant, rétif au mariage bien que, à la fin de leur relation, Anne Hébert refusera la proposition de vivre ensemble que lui avait faite, sans vraiment y croire, son compagnon. Après la rupture qu’elle initiera, le neveu de Mame dira qu’elle «était égoïste en amour. » Par ailleurs, Lamontagne recueille la confidence d’une amie selon laquelle Hébert regrettait de ne pas s’être mariée, de ne pas avoir eu d’enfants. En somme, elle était une femme libre prise dans le piège de ses contradictions. Ainsi, si célèbre soit-elle, une femme ne saurait vraisemblablement être comblée par la réussite : elle demeure préoccupée par le grand amour, le mariage, la maternité. Conséquemment, ces questions fondamentales, effleurées par Lamontagne, ne sauraient être éludées dans sa biographie.

Elle-même auteur de fiction, Lamontagne a néanmoins souligné avoir cherché à comprendre ce qu’est une vie dont le seul but est l’écriture. Que faut-il alors sacrifier pour construire une œuvre à la mesure de ses aspirations ?  Marie-Andrée Lamontagne ne prétend pas résoudre le mystère qu’Anne Hébert a jalousement voulu préserver. Son ouvrage, lisse, ne va pas dans ce sens, de toute façon. Qui plus est : au fonds des archives de l’écrivaine conservé à l’Université de Sherbrooke, plusieurs documents restent toujours interdits de publication jusqu’en 2099. Cette biographie s’avère un rendez-vous avec un destin peu banal et que l’on suit au fil des rencontres, de la gloire et des épreuves qui en sont l’essence. Dans un de ses derniers livres, L’Enfant chargé de songes, c’est peut-être Anne Hébert elle-même qui, en résumant son roman, nous offre une piste pour comprendre sa vie. Elle écrit : c’est l’histoire d’un homme « qui aurait voulu écrire un grand poème et vivre un grand amour, à l’image de tout être humain qui tend vers l’absolu et se déchire.»

Marie-Andrée Lamontagne, Anne Hébert, vivre pour écrire, Boréal, 2019, 558p.

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Ph.D McGill, a signé de nombreuses biographies aux éditions XYZ, dont celles de Félix Leclerc, René Lévesque et Pierre-Eliott Trudeau. Elle a animé pendant des années l'émission littéraire Quai des Partances, à Radio Centre-Ville.