Matapédia, dans le noir métal de l’existence. « La veine noire » disait Victor Lévy-Beaulieu. Un environnement glauque. Une plongée dans la psyché d’un jeune suicidaire (peut-être les dérives de la DPJ). J’ai pensé au poème de Baudelaire :
« Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage traversé
çà et là (…) Ô douleur, le temps mange la vie et l’obscur
ennemi qui nous ronge le cœur. » (p. 46)
Les origines
Le monde des ados en quête de vie, de vérité et de vengeance. Ce glissement vers la peur et les fourmillements. Au-delà des noms, des Dieux et de la mort. Abusé par une secte dont le grand prêtre aux accents scandinaves,Vita Cirkeln, sacrifie les enfants. Il y a aussi ce fameux livre étrange (une sorte de Bible).« Les origines d’un pays volé »dans Knut Sebastiansen« le livre des choses qui auraient pu se pouvoir, mais qui ne sont pas tu » édité chez Trois-Pistoles(2). La mythologie du mal. Sommes-nous dans le Québec d’un autre temps
? La ville est habitée par des esprits malveillants. Comment sont les miroirs ? Nous parcourons à tâtons dans cette contrée (l’arrière-pays). Ce sont des âmes qui luttent pour tuer le temps.
Des dieux captifs
L’auteur a déjà parlé du monde de Anne Hébert. Il y a peut-être ceci : « Depuis longtemps nous ravageait l’âme pareil à des brûlures hautes dans un ciel barbare. »(3) Et la musique : « la voix d’un homme qui se gargarisait avec des tessons de bouteille. Les accords de guitares. Les doubles croches en crise cardiaque. »(p. 159) Évidemment, dans ma tête, il me revient des souvenirs de mes rencontres avec les groupes Slayer et Venom. Je n’étais pas un fan absolu, mais je comprends l’éthique (les vertiges). J’y vois un rituel, des récits légendaires. La séparation du ciel et de la terre. La puissance du monde des esprits. La musique qui est un poème dédié au cosmos. Musique« black metal » qui invoque les esprits immanents. Il y a aussi « Belzébuth qui est là pour détruire la pensée »(p. 189). C’est dur, c’est quasi insupportable :
« Je m’enfoncerais ton revolver dans la gueule
et je me ferais exploser dans la gueule et je me ferais
exploser ma grosse tête. » (p. 191)
Sebastian est Dead
Comment décrire le protagoniste
? C’est un introverti de tempérament sombre et dépressif qui parle peu. Il s’inspire de Dead (qui fut membre de Mayhem et Morbid). Il enterre ses vêtements dans un cimetière. Il conserve le cadavre d’un corbeau. Il se maquille. « Il dessine deux lignes obliques sur le front, sur les muscles du chagrin. » (p. 206)
L’écrivain est aussi poète :
« Sebastian chante les yeux rouges
de sa mère, assise devant la télé
infestée d’intrigues savonneuses
qui la captivaient, il chante la colère de
son père trahi et incapable de
prier Dieu, il chante les tabassages
qui le laissaient pour mort. » (p.209)
À bout de science (4)
Je referme le livre. J’écoute « HellAwaits »de Slayer. La musique seule retourne à l’univers. Des questions écrites par lui, soumises à son instinct. Musique «
black metal, langue des dieux captifs. Le cœur dubitatif ». Cette étrange histoire dans la vallée de la Matapédia. On ferme le coffre de l’imaginaire. Je remercie l’auteur pour sa plume, pour son chant guttural. Pour ses paradoxes, pour ses bras qui m’entourent. Plus loin que l’horizon, je salue la sphère entière d’un auteur magistral. Je quitte ce livre rempli d’énigmes avec des images qui traversent les lettres. J’avale tout : l’histoire, la musique et votre écriture.
Notes
Sébastien Chabot est né à Sainte-Florence dans la vallée de la Matapédia. Chez Alto, il a publié Le chant des mouches. Il habite à Rimouski où il enseigne la littérature au Cégep.
Photo principale: Sébastien Chabot. Crédit photo : Jean-François Bérubé
Noir métal de Sébastien Chabot chez Renaud-Bray, 25.95 $ : https://www.renaud-bray.com/books_product.aspx?id=3410950&def=Noir+m%C3%A9tal%2CCHABOT%2C+S%C3%89BASTIEN%2C9782896944903