Marc Séguin, Affaires de terre et patentes d’artistes

Marc Séguin, un homme en chemise à carreaux, assis sur un mur de béton. Marc Séguin, un homme en chemise à carreaux, assis sur un mur de béton.

Marc Séguin est un artiste-peintre réputé. Il est également un grand romancier québécois. La foi du braconnier (2009) est un voyage initiatique. En 2017, il publie un livre de poèmes qu’il a écrit durant son adolescence (Au milieu du monde). De novembre 2016 jusqu’à avril 2020, durant plus de trois ans, Marc Séguin a tenu une chronique dans la section Débats de La Presse +. En lisant ses textes, on pense à la plume magnifique du Pierre Foglia de la grande époque.

Enjeux de société 

L’artiste-peintre réfléchit tout haut. Nous sommes en 2017. C’est un spectacle gratuit pour ses enfants, Comment abattre un cochon ? Rassurez-vous, il abat un seul porc par saison. Il faut refroidir le sang pour en faire du boudin. On assiste à un spectacle réel. En même temps, il parle de la frontière américaine. Les migrants qui traversent à pied dans la neige et le froid. Les explications données à sa petite fille sont directes : C’est aussi à cause de Trump, parce qu’il ne veut pas les avoir aux États-Unis. Il donne une leçon d’histoire dans cette vie tranquille. Il déclare : Aujourd’hui on dirait que je vis dans un tableau de Goya (p. 11). Il raconte son quotidien. Il vit sur une île, au milieu du fleuve. Il est isolé du monde, sans électricité. 

Il parle sans détour : On s’accuse de tout. On cherche à compromettre. On joue un peu à la vérité qu’on fait plier à sa limite. Ça pue la partisanerie à plein nez. Se sont construits des châteaux médiatiques de part et d’autre, avec des radios, des télés (p.18). Il est content qu’il pleuve à boire debout. Je le lis pour le sourire en coin. Pour cette faculté à décrire le désordre du Monde. Tout est une question d’enjeu.  La Corée du Nord, Macron, les alliances. Trump, encore. Il prend le journal Le Devoir parce que c’est lui qui brûle le mieux. (Ibid)

Avoir une vision

Je rêve, les yeux ouverts, d’une politique sans calcul, une politique de courage, ou une vision sociale ne serait pas une prière (p.34)  On cherche toujours une illumination pour se confronter à la création à travers une personne unique. Mon désir me parle sans cesse de la Lumière. J’ai pensé à Fernand Ouellette : Le tragique, à vrai dire, c’est de ne pas pouvoir entrer de plain-pied dans une plénitude lumineuse. Le tragique, c’est l’écart entre le rêve, le désir et le réel. (1) 

Il parle de la condition des artistes. Ils souffrent à force de se faire dire non. Les éternelles subventions, la rectitude administrative. J’aimerais bien être face à face avec lui pour lui dire qu’il est possible de vendre des livres de poésie sans subventions. De sortir des albums de musique (Serge Fiori, Samian) sans être dans les magasins. J’aime prendre des risques. J’aime croire que l’humain est capable de résister devant la Grosse machine. Il ne mâche pas ses mots, ce monsieur. Il m’étonne. Il me bouleverse. Je l’envie pour son culot.

Une loterie morale

Il y a en ce moment une loterie morale. On met beaucoup d’efforts et d’espoirs, pour se dédouaner de l’histoire, à souhaiter plus que tout au monde qu’un artiste des Premières Nations (ou issu d’une minorité) réussisse à l’international. On en fera un drapeau qui jettera de l’ombre sur les autres. (p.47) C’est un coup d’épée dans l’eau. Une manière de dire : il est où le diable ? Est-ce que c’était mieux avant ? 

L’auteur idéalise et je comprends parfaitement son point de vue. Il ne veut rien savoir des réseaux sociaux. Sans le savoir, il fait un pacte avec la Lumière en dehors du cirque médiatique. Il le dit sans détour :  Dieu n’est pas dans le ciel. Il est dans un logiciel et un serveur informatique du Web et que nous sommes tous ses Esprits saints. (p.78) Le règne de l’hédonisme, c’est clair. Il faut lire entre les lignes : c’est difficile en tabarnouche de vivre ensemble. (Ibid) Je me suis souvenu de cet extrait dans La foi du braconnier :  C’est dans la soustraction du véritable Soi de ce que l’on voudrait être, que se trouve l’identité humaine. Son identité. Plus la valeur tend vers le zéro, plus on est en voie d’être heureux. (2)

Un écrivain militant 

Inventer de nouvelles possibilités d’existence. Marc Séguin est un écrivain militant. Comme Gaston Miron, il milite à sa façon à travers le monologue engagé et passionné. La prose du non-poème dans la réalité totale (disait Jean Royer). Je vais conclure avec un de ses poèmes écrits à l’adolescence. C’est très intelligent. On dirait un animal matériel qui cherche le souffle idéal. 

Ma génération n’a rien à dire 

Écarte le désir et la peur 

Je défonce 

Que je défonce 

Que je fuie par un mot 

La grandeur sourde et vive 

Que la tête trempée de froid 

Un silence crie je vais fendre 

Mon crâne et rit. (3)


Notes
  1. Fernand Ouellette, En forme de trajet, Essais Éditions Le Noroît, 1996. P. 42. 
  2. Marc Séguin, La foi du braconnier, Bibliothèque québécoise. 2014. Roman d’initiation . P. 79.
  3. Marc Séguin, Au milieu du monde. Éditions Le Noroît, 2017. P. 47. 

Pour tout savoir sur l’auteur : https://www.marcseguin.com/ 

Marc Séguin, Affaires de terre et patentes d’artiste. Chroniques. Leméac, 2021.

Lire aussi :

https://lametropole.com/arts/litterature/marc-seguin-les-repentirs/

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