Patrice Desbiens, c’est le poète du réalisme et de la dérision. C’est comme l’ami Jacques Prévert pour moi. C’est la jeunesse éternelle. La dernière fois que je l’ai croisé (en 2018) il était malade. Les poètes sont intenses. On boit. On fume. On cherche le vaisseau d’or. Nous sommes toujours dans la fleur de l’âge.
Un vieux hippie
J’ai pensé à l’image du vieux hippie. Poète de la vraie vie, il écrit comme un enfant dans son cahier d’écolier. C’est un révolutionnaire à sa manière. Un poète qui observe notre monde égocentrique. Il a quelque chose comme un petit garçon amoureux de la vie selon moi. Il n’existe pas de grandes vérités. 60 poèmes. 60 petits récits… Il y a plein de petits bijoux. Prendre le temps d’aimer la vie malgré tout. Écrire avec des ratures, des poèmes en temps réel.
Ses yeux s’ouvrent
Comme des cartons
D’allumettes
Sous la lune
Pleine de bleus
Je tourne sur le feu
De ses yeux, (4e poème)
Les feuilles d’automne et
Un petit vent qui sourit
Et montre ses dents. (8e poème, extrait)
C’est doux. Ce sont des cadeaux de la vie qui entrent par des portes étroites. L’espace du cœur est si grand ouvert. J’adore lire ce recueil intitulé 60 poèmes. C’est l’humilité du poète aux confins de l’été. À chaque lecture, il y a un buisson de sourires. Un monde de douceur. Le pain du vent s’offre à nous. Il joue de la batterie, Monsieur Desbiens, c’est un percussionniste dans la vraie vie.
Je drumme sur le bord de la table
Je me drumme jusqu’en dessous de la table
Je déboule les escaliers jusqu’au macadam. (16e poème)
Ces mots que je martèle de cent mille façons et lus à voix haute. Je suis le gars qui joue de la batterie dans la cuisine. J’aime l’image. Ce face-à-face inédit avec la fluidité des mots simples. On le comparait à un genre de poète beat aux tournures maladroites. (1)
À la manière de Kerouac
C’est déguster la lumière. Hors de vous. Hors de tout. C’est une lecture douce d’un homme qui jouit de l’intimité de la vie. C’est un clin d’œil à Prévert (Paroles).
Le poète traversait la rue
Avec un poème dans la tête
Quand la voiture l’a frappé
Le poème s’est envolé de sa tête
Comme un oiseau de son arbre. (extrait poème 18)
Écrire à cause de la Réalité suprême et du temps et l’ Entière absence du temps. (2) Ce désir de pureté, d’innocence, les vertus de l’amour. Errer par le don de l’écriture. Ses poèmes sont écrits à la machine à écrire. Un choix personnel (même dans le livre ). Il a sa propre technique. C’est un être qui parle de la Vie dans l’inachèvement. Il voit tout avec les yeux du cœur (Gerry Boulet).
Encore beau le ciel
Qui s’étend au-dessus
De la ville et nous qui
Ne voyons toujours rien . (30e poème).
J’ai pensé à José Acquelin. Son livre met à jour le sous-ciel de nos vies, voilà la vérité qui annule nos vérités. (3) Cet univers intimiste du poète est une expérience surnaturelle pour moi. L’extase serait-elle dans le quotidien?
Notes
Patrice Desbiens, 60 poèmes. L’oie de Cravan, 2021.
Patrice Desbiens est né en 1948 à Timmins en Ontario. Après quelques années d’études secondaires au Collège du Sacré-Cœur et au Timmins High Vocational School, il délaisse les bancs d’école et quitte sa ville natale pour suivre sa voie poétique. Son premier recueil (Cimetières de l’œil, 1972) est publié à compte d’auteur grâce à l’appui d’un professeur de littérature. Desbiens est ensuite rédacteur à L’Express de Toronto pendant un an et il collabore à plusieurs journaux et revues : Estuaire, Exit, Le Sabord, Alive Press, Poetry Toronto Newsletter, La Souche, etc. Parallèlement à de nombreuses participations dans les festivals de poésie, Desbiens se produit aussi sur la scène musicale aux côtés de René Lussier dans la tournée du Trésor de la langue. L’amitié entre ces deux musiciens (Desbiens est aussi percussionniste) permet la création de deux albums où se rejoignent la musique et la poésie (Patrice Desbiens et les Moyens du Bord, 1999; Grosse guitare rouge, 2004).
Desbiens est parmi les cinq finalistes pour le prix du Gouverneur général en 1985 pour son recueil Dans l’après-midi cardiaque. Il reçoit la même année le Prix du Nouvel-Ontario pour l’ensemble de son œuvre et pour sa contribution à la culture franco-ontarienne. Le recueil Un pépin de pomme sur un poêle à bois lui vaut le Prix Champlain en 1997 tandis que La fissure de la fiction est récompensé par le Prix de poésie St-Sulpice / Estuaire en 1998. Le documentaire réalisé par Valmont Jobin sur Patrice Desbiens (Mon pays…,ONF, 1991) remporte le Prix du meilleur témoignage au dixième festival du film sur l’art. (Source Babelio).