David Goudreault, Maple. Par Ricardo Langlois.
J’ai lu ce polar comme un immense poème sur la société actuelle. Sur une microsociété (Hochelaga).
Je me suis rappelé mon quartier pendant mes études à l’UQAM. Je me suis rappelé ces jeunes de la rue, ces jeunes qui cherchaient de la compagnie dans le Village gai. Maple lutte pour sa survie. Elle est jeune. C’est une prostituée. Elle voit la vie au jour le jour. La débauche, les drinks, la dope. C’est aussi un roman noir sur le meurtre, la vengeance, la prostitution, l’abus des narcotiques, les fuckés sexuels.
Aimer les prostituées
C’est dure la vie. C’est un choix de vivre sans éducation dans une forme de relation toxique qui se prolonge dès qu’on est une jeune adulte. On traverse la vie de cette fille paumée durant la pandémie de la Covid. L’auteur exprime le sacrifice de la jeunesse. Pour bien comprendre l’histoire : » Ma beauté intérieure fait de l’acné. Je n’irai pas jouer la bonne fille dévergondée par la terrible société et ses méchants systèmes. Je l’ai jamais eue facile, mais j’ai toujours aimé la vie, l’interdit, la transgression. Fourrer fort, consommer à l’excès, voler, trafiquer, tout ce qui se fait à cachette m’intéresse. » (p.17)
Chacun d’entre vous pourra faire sa propre opinion. D’un point de vue sociologique, cette Maple analyse la société. Parce que cette jeunesse-là existe vraiment. Je l’ai côtoyé durant mes études et même après. Ceux qui fument leurs premiers joints. Fumer dans les ruelles en arrière du célèbre Café Chaos entre deux spectacles. J’y ai vu des jeunes qui étaient des zombies à force de prostitution, de jouer à l’escorte de luxe, de rue. Ce sexe de consommation peut être interprété comme le manque d’amour qui commence dès l’enfance. Des psychoses qui se développent à force de consommer du crack. J’ai envie de vous faire lire ce passage qui est tellement beau : » Comme toute chose a une fin, l’amour est éternel. Contre la brique usée du bar, entre deux « poffes » d’Export A vert, Claude m’embrassait. De l’amour oral, du bouche-à-bouche tantrique, c’était si bon. Ses longs coups de langue me dévoraient la face, me vibraient dans toutes les lèvres du corps. Malgré sa moustache qui m’irritait, tout n’était que douceur. Jamais encore de simples baisers ne m’avaient fait cet effet-là. Sa salive, ma fontaine de jouvence. Mon paquebot, son corps musclé. À émoustiller nos chairs émoussées, je me sentais revivre, redevenir conne et vulnérable comme une amoureuse. » (p. 64)
À première vue, la nature humaine ne semble pas porter uniquement le cycle de la douleur. Pourtant, dans ce roman, il se tisse une chaîne d’une grande beauté. Malgré l’imperfection, Dieu est un oiseau. La lumière cachée derrière un bouclier de chair. Cette jeunesse, je l’ai vécue avec eux. Je suis blessé quand la beauté perd son latin. Ici, je fais une parenthèse, à l’auteur, j’avais l’impression de lire le quatrième paragraphe d’Une saison en enfer (1) de Rimbaud. » Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l’air du crime. Et j’ai joué de bons tours à la folie. »
J’aime ce que je lis. Un cri de libération intérieure s’installe au fond de moi. Il parle du patriarcat, de complot international, la pornographie au dépanneur, la liberté sexuelle. Un rappeur qui est prêt à donner un quarante piasses de plus pour jouir dans l’oreille. (p. 98) Ah ! Le cyclone du Désir. Il est partout. Désobéir à l’ange. S’inventer une vie. Désirer l’ange de toutes les manières.
Zéro censure
Je remercie l’auteur après quelques bonnes bières, un autre extrait que je souligne en rouge : » Chaque fois que je tombe en amour, je me relève en tabarnak. Freud était complètement dans le champ en projetant son obsession du génital sur les femmes ; ce n’est pas aux femmes qu’il manque un pénis, c’est à l’homme qu’il manque tous les vagins du monde. » (…) (p. 121)
Ce livre est un monument. Une prière à tous les adolescents qui rêvent d’amours imaginaires. Je l’avoue, j’ai pleuré sur certains passages. Le trou creusé par nos larmes (p.153). Je me suis levé vers cinq heures, j’ai feuilleté un livre de poésie d’André Roy (2), je pense qu’il résume bien ton beau roman.
» Nous nous croyons éternels
Mais nous ne fûmes que les blessés
Dans ce film sur notre jeunesse
Les ciels dorénavant sont pleins d’écrans
Comme un océan déroulant nos poèmes. »
Dans la filière du Temps, la nuit s’installe partout. On pourra dire, c’est la faute aux parents, à l’époque, à l’ennui de vivre. J’écouterai encore And justice for All de Metallica, en mémoire à un jeune prostitué que j’ai aimé. Merci pour cette histoire non censurée. Cette nuit interminable a ses bons côtés. La vraie Vie restera toujours un désir inassouvi.
Notes
David Goudreault a été travailleur social. Il est connu comme poète, romancier et parolier. Il a reçu la médaille de l’Assemblée nationale. Sa trilogie sur La Bête s’est écoulée à 128 000 exemplaires.
Je tiens à remercier personnellement l’auteur qui a pris soin de m’envoyer son livre une semaine avant tout le monde avec une dédicace à mon nom.
David Goudreault, Maple. Stanké 2022.