Martine Audet, Des formes utiles. Par Ricardo Langlois
Je me souviens de ma lecture de « La société des cendres ». Nous sommes en 2019, l’année avant le déluge (la pandémie, la mort de mon ami Jean-Marc Fréchette.) J’avais été bouleversé par de nombreux passages. Je pensais à Saint-Denys Garneau, à un poème de mon dernier livre. (1)
« Faut-il des morts où tu veux danser ?
C’est comme un trou dans un nuage
La blessure même le cœur de l’instant
Aboli. (2)
Le chant de la mort. »
L’écart temporel entre « La société des cendres » et « Des formes utiles » n’a pas d’importance. L’enjeu de la mort, la narration de l’autrice permet constamment une saisie de Soi, neuve et apaisée, même si la mort est l’objet d’une opération alchimique.
« À cet instant
La mort est pleine de morts
Et je ne peux pleurer
Que faire ? Que dire ?
Je me prépare sans mystère.
La poussière que je soulève
Est mon tablier de foi. » (p. 11)
Une expérience personnelle. Une dépossession de Soi. Un chant d’un mouvement perpétuel, fragmenté et intermittent. La nudité où l’abîme flotte sur l’aura. Les admirateurs de l’autrice se souviendront de « Tête première Dos contre dos. » (2014)
« C’est donc la nuit
À peine plus que la mort (p. 64)
Où la bouche grande ouverte des morts. (p. 67)
La juxtaposition des expériences. La révélation d’une vérité comme motif absolu de sa poésie. Nous sommes dans les ténèbres de l’humanité. Peut-on espérer une quête fusionnelle ? Au-delà des mots. Au-delà d’une saison en enfer. J’ai pensé à ce poème :
“Je recueille des lumières
Les nombreuses déchirures.
Je les attache à mes poignets
Comme des papillons de peine.
Contre le vent, soudain contre
Le vent,
J’ai des corps où tout s’enflamme.” (p. 23)
Mise en abîme
Existe-t-il des espaces clandestins chez la narratrice ? Est-ce l’éternel combat avec la mythologie extérieure ? Comment interpréter la transcendance entre résistance et espérance ?
“Où percer la fine buée d’un regard ?
Comment se perdre à travers ?
Bien sûr, je suis inquiète.
Sous vide, les espèces
Ne peuvent être citées
Et j’entends à chaque mort :
Sois complice !
Sois le centre !” (p. 25)
Mon cœur de joie ?
Contrairement à l’œuvre de Léonard Cohen qui souligne la miséricorde même en enfer (4). Madame Audet vit dans une sphère comme Marteau sans maître (René Char). Il y a une douleur de vivre. Elle dira : “Je suis allée dans sa douleur pour regarder le ciel.” (5). Comme René Char, elle remet en question un art de vivre, une oasis de croyance. Prisonnier d’un monde d’images, la volonté d’une litanie qui se dissocie complètement de l’impératif spirituel. L’amour est ludique. La douleur est omniprésente.
Il faut recommencer, dit la douleur, plusieurs motifs sont des objets anciens (p. 32) ou cet extrait : “Quel est mon cœur de joie ? Ailleurs est un bruit d’arbre. Je casse les vitres d’un sommeil.” (p.45). La narratrice attend (malgré tout) l’intense floraison de la lumière horizontale que Marie Uguay a tant espérée. Un voyage d’écriture au cœur d’un monde apocalyptique. La mort à la vie, disait le philosophe. C’est bien le style unique de Martine Audet.
Notes
En 2021, Martine Audet a reçu le Prix littéraire du Gouverneur général de poésie pour “La société des cendres”.
Martine Audet, “Des formes utiles” Noroît 2023.