Tania Langlais, Les pommiers dépassaient partout les palissades. Par Ricardo Langlois
Pour un chroniqueur de poésie, lire un livre de Tania Langlais est un privilège absolu. Surtout ce livre que je découvre. Il est question d’amour fou allant jusqu’au suicide. Il faut écrire des graffitis, des territoires à explorer. Comment faire son chemin en creusant des phrases incendiaires. Vladimir Maiakovski aime Lili Brik. Célèbre poète de l’avant-garde russe. Il écrit. Il voyage. Il est surtout fou de Lili.
Une balle au cœur
« Il pleure souvent Lili, il a trente-six ans, il se tire une balle dans le cœur » (p. 14 ).
Une écriture minimaliste pour l’autrice. C’est une écriture qui fouette, blesse, pleine d’innocence et de clair-obscur. Est-ce que cette lecture m’apportera quelque chose? C’est tragique (1). Une journée de deuil avec « des pommiers qui dépassent partout des palissades ».
« Le cœur est un poème
Sans résistance
Elle lui interdit de mourir » (p.17)
Une joie affolée
Ne pas craindre de me détacher de la poussière des sentiers battus. Aller vers un pays inconnu. Le pays intérieur de Tania Langlais. Il y a une certaine beauté. Une beauté tranquille. Un livre qui nous raconte des secrets. Lire pour avancer. Ai-je assez de force pour lire le souffle d’une voix unique dans le paysage poétique québécois? J’ai mis du temps. Les poèmes racontent la tyrannie du monde.
« Ton prénom on dirait une joie
Affolée presque
Un fauve soudain consolé
Hors champ
Qui fuirait par le jardin
Lili
Bruissant dans le petit matin » (p. 19)
Élégie de l’effroi
Pour des raisons personnelles, j’ai pensé à Verlaine quand il a tiré sur Arthur Rimbaud. Cette image a été si forte lorsque j’ai lu Rimbaud pour la première fois (2).
« On dira que cet amour était traversé
De ruptures
Et d’animaux petits
Ne m’oublie pas
J’ai froid j’ai perdu
Ta douleur
Reviens-moi je t’aimerai
Comme un chien » (p. 40)
Écrire est un acte de résistance. L’écriture me fait toucher à l’infini, à l’éternité. Je cherche l’Illumination. L’écriture comme le sacrifice ultime. Écrire comme un poète surdoué. Madame Langlais a ce génie.
« Comment t’écrire
Nous ne sommes pas l’événement
Nous sommes l’amour
Surdoué
Cette douleur
Tu signes
Qui pleure » (p.46 )
Et l’obsession de l’eau
L’autrice a eu un choc en lisant « Les fous de Bassan » d’Anne Hébert (3), roman baigné par le fleuve. L’eau est partout dans son œuvre.
Personnellement, j’aime écrire aux Iles de Boucherville.
« Le prochain livre sera nécessaire
Ou ne sera pas
Il faudra écrire sur l’eau
Il faudra le noyer aussitôt » (p.50)
Elle n’écrit pas beaucoup. C’est une écriture qui vise d’autres espérances. Une écriture sans tabou. Je trouve au-delà des mots, un langage pour effrayer la mort. Faire basculer l’intériorité, les affects. Un cri ou une prière inventée. Une arme : des poèmes tout petits. L’ombre de l’écriture consentie. Un Chant comme la vivacité d’un souffle qui déchire entre les lignes.
Vous l’avez sûrement deviné, j’ai adoré cette écriture qui décape, qui est avant-gardiste.
Notes
1. Roland Barthes, « Le plaisir du texte », L’idée d’un discours suicidaire, p. 33.
2. Le 10 juillet 1873, Rimbaud est blessé d’un coup de revolver par Verlaine. Arthur Rimbaud, « Poésies », Chronologie. NRF Gallimard.
3. Les trois auteur.e.s ayant marqué la trajectoire de l’autrice Tania Langlais. Site ICI Ottawa-Gatineau par Valérie Lessard.
Tania Langlais est née à Montréal en 1979. Elle reste la plus jeune lauréate du prix Émile-Nelligan à ce jour. Avec « Pendant que Perceval tombait », elle a reçu le Prix litéraire du Gouverneur général et le prix Alain-Grandbois.
Tania Langlais, Les pommiers dépassaient partout des palissades, Les Herbes Rouges 2024.
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