Michel Tremblay, La Shéhérazade des pauvres. Par Ricardo Langlois
C’est loin dans mon adolescence, à la télé, aux Beaux dimanches, je me souviens d’une pièce de théâtre avec deux personnages, Hosanna et Cuirette, joués par Jean Archambault et Gilles Renaud. L’imposture d’une colère essentielle. Michel Tremblay brise le silence. L’aura blafarde d’Hosanna. L’urgence d’une progression qui persévère et triomphe. Hosanna appartient aux rivages de nos inconsciences. Ce monde gay caché. Je salue cette errance.
Entrevue pour Fugues
Hosanna n’est pas morte. Elle a 79 ans. Elle doit rencontrer un jeune journaliste du magazine Fugues. Ce sera un vrai bonheur pour le lecteur, lectrice, de découvrir Hosanna avec son franc–parler. Sa personnalité décapante. Elle boit son dix onces. Tremblay s’amuse : Boire, c’est comme plonger dans une piscine, ça coupe de tout, du monde, des sens et ses équilibres. On flotte ( p.19). Il se décrit comme La Shéhérasade des pauvres. L’auteur est à son meilleur pour parler des travestis. Claude Lemieux (Hosanna), coiffeur le jour et bitch la nuit. Que s’est-il passé pendant ces cinquante années de silence ? On a droit à des confidences sur le personnage et son entourage. Que reste-t-il de la duchesse de Langeais ? Elle s’est fait tuer par un roi de la Main. Les travestis ont été remplacés par des drag queens.
Dans le roman, le jeune journaliste cherche à comprendre un monde qui n’existe plus. Le monde de la Main et de celui de Cuirette qui a été son amant pendant dix ans. Nous sommes au cœur des années 70. Les années de la révolution : les Belles–Sœurs, la contre-culture, Réjean Ducharme. Pour le journaliste de Fugues, c’est un véritable monde féérique qui appartient au passé. Mais il y a aussi la tragédie. L’amour impossible (toxique) entre Cuirette et Hosanna, Cuirette qui se meurt du sida. Hosanna qui est au chevet de son amant, qui lui donne tout (son cœur, sa vie, son temps). Comme si l’existence de Hosanna était liée par le même sang. Le temps de la colère s’est érodé avec le temps lui-même. Elle boit beaucoup. C’est une caractéristique chez les gays. Les bars sont très remplis durant les 5 à 7. J’ai connu de belles années entre 1998 et 2003. Avant le Village, c’était le centre-ville (le limelight, le Peel Pub et le Pj’s).
Une entrevue de neuf jours
Tout au long du récit, je suis transporté par mes propres souvenirs. Je me suis souvenu de quelques discussions avec Michel Tremblay. Il avait quitté Outremont pour vivre au Carré Saint-Louis. On le voyait avec André Gagnon. Un homme d’une grande gentillesse. Le jeune journaliste de Fugues a un monologue intérieur qui me rejoint : » Que lui dire ? Et comment ? Comment expliquer l’insignifiance d’une vie presque trop facile à quelqu’un qui a connu une époque explosive, qui a abattu des barrières et défoncé des portes ? Comment décrire cette nostalgie qu’on ne ressent pas et qu’on voudrait ancrer en soi comme une source virale et inépuisable de souvenirs d’une époque glorieuse qu’on n’a pas eu la Grâce de vivre ? » (p. 50)
Plus loin, il parle de la chute légendaire, quand, la Main pendant toute une nuit d’Halloween, lui a montré combien il ou elle (pour la Main) le détestait. Violence homophobe ou masculinité toxique, je vous laisse le choix. Il parle de clandestinité. C’est vrai, mes parents n’ont rien su. Je vous parle de moi. Je savais que papa s’inquiétait à mon sujet. C’est une époque où je suis entré dans la vie par une porte secrète. J’y pense souvent à cette époque de grande liberté. Je ne vous dévoilerai pas tout, disons que j’ai trouvé ça difficile par bout. C’est la vieillesse, la boisson, le mal de vivre, la colère dans un schéma de culpabilité qui revient tout le temps. Le jeune Yannick, jeune journaliste, reste par compassion. Il aime le sacré de cette destinée. Du Tremblay comme on l’aime ! Toujours la passion de l’écriture même à 80 ans.
Note
Écrivain, dramaturge, scénariste, parolier, metteur en scène, traducteur.
PRINCIPALES PIÈCES DE THÉÂTRE : Les belles-sœurs ; À toi, pour toujours, ta Marie-Lou ; Albertine, en cinq temps ; Le vrai monde?; La maison suspendue ; Marcel poursuivit par les chiens ; Messe solennelle pour une pleine lune d’été ; L’état des lieux ; Le passé antérieur ; Le paradis à la fin de vos jours ; Fragments de mensonges inutiles.
PRINCIPAUX ROMANS, CONTES ET RÉCITS : Contes pour buveurs attardés ; C’t’à ton tour, Laura Cadieux ; Chroniques du Plateau Mont-Royal (six romans) ; Le gay savoir (cinq romans) ; Les vues animées ; Un ange cornu avec des ailes de tôle ; Le fantôme de Don Carlos ; Bonbons assortis ; Les cahiers de Céline (trois romans) ; Le trou dans le mur ; La diaspora des Desrosiers (neuf romans) ; Conversations avec un enfant curieux.
COMÉDIE MUSICALE ET OPÉRA : Demain matin, Montréal m’attend ; Nelligan.
PRIX ET RÉCOMPENSES : Prix Athanase-David, prix Jacques-Cartier, médaille d’argent du Mouvement national des Québécoises et Québécois, prix Molson du Conseil des Arts du Canada, Prix littéraire Prince Pierre, prix Odyssée, Grand Prix littéraire international Metropolis Bleu, Ordre des arts et des lettres de France, Grand Prix littéraire du Salon du livre de Montréal, prix Victor-Morin de la Société Saint-Jean-Baptiste, plusieurs doctorats honorifiques et des dizaines d’autres prix littéraires prestigieux.
Michel Tremblay, La schéhérazade des pauvres, Leméac, Actes Sud 2022. 19,95 $ chez Archambault. https://www.archambault.ca/livres/sh%C3%A9h%C3%A9razade-des-pauvres-la/tremblay-michel/9782760913387/?id=3804838&cat=1891415
Wiki Schéhérazade : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sh%C3%A9h%C3%A9razade