Daniel Guénette, La châtaigneraie

Un homme vêtu d’une veste grise prend la pose de poésie pour une photo. Un homme vêtu d’une veste grise prend la pose de poésie pour une photo.
Daniel Guénette, La châtaigneraie. Par Ricardo Langlois

Ce recueil de trente poèmes rend hommage à Gérald Tougas, romancier. C’est le regard admiratif du poète Daniel Guénette, qui par sa poésie narrative et biographique, idéalise son mentor. « La châtaigneraie » est un livre personnel. Le livre est beau, béni de lumière. Parce que c’est l’amour pour un écrivain. Une belle lettre écrit avec une craie rouge.

La fenêtre intérieure

Son amour des livres transcende tout le livre. Gérard Tougas, je ne sais rien de lui. Ce qui m’intéresse, c’est comment le narrateur va formuler son amour indéfectible pour l’écrivain récompensé du Prix du Gouverneur.

« À des lèvres empruntant à tant de récits

Des échos si divers qu’on dirait soudainement

Le monde un livre ouvert délivrant ses secrets. » (p. 20)

L’univers intimiste. Cette grande fenêtre intérieure pour l’amour des livres, de la bibliothèque. Il parle de Tougas comme un feu de joie qui embrase son passé. Un moment sacré du temps flammé. On s’étonne de sa prose. Pour Guénette, la page blanche est la terre promise du poète. Il plante des paroles.

L’aura du poète

Plusieurs poèmes méritent d’être lus et relus. « Un homme » est une mini biographie d’une grande délicatesse.

« Un homme on se demande

Est-il un homme sans défaut

Un or si pur qu’on ne peut

En monnayer la substance

À jamais en préserver

L’aura

Et quand la fleur

En son enfance libère

Un effluve plus sacré

Que le temps qui passe

Nous restons seuls 

Privés de son génie .» (p. 26)

En lisant ce long poème de deux pages, on est subjugué, transporté par ce faiseur de jardins. Il plante le sacré des mots. Il transforme ses poèmes jusqu’au poignet des étoiles. La beauté est partout, surtout dans l’humilité du poète. Les poèmes sont écrits comme une prière dans la nuit.

Des rêves de lectures

Je crois que Daniel Guénette aime profondément les poètes et les écrivains du Québec. Chaque poète a son monde. Le narrateur dissèque les mots, les états d’âme. J’ai pensé à Prévert quand il écrit « Un livre pour enfants ».

« Un livre arrive à la maison avec une histoire, des images et une bête dedans, l’enfant entre dans l’histoire (…) ils font bon ménage ensemble. » (1)

Il réinvente l’imaginaire. Il est mélancolique. Il cherche désespérément le chemin pour retrouver son auteur fétiche.

« Des rivières des rêves de lectures qui furent siennes

Quand il a pris sans plus jamais se retourner

Le sentier de sa propre forêt

Je n’étais pas là pour assister à son effacement. » (p. 40)

Une présence d’absence

Guénette vit mal la mort de Tougas. Le silence ne se fait pas tout seul. Les nuages n’ont plus de larmes pour s’émouvoir, tout est désordonné. Le labyrinthe fabrique des demi-soupirs. On prie inutilement sur les cendres.

« La nulle part ailleurs

Des cendres se reforment

Un visage de pierre s’anime

Où des lèvres entrouvertes

S’écoulent des paroles

Murmure une rivière. » (p. 55)

L’épreuve de la mort

Je m’attarde à l’avant-dernier poème parce que j’ai pleuré. En quelques mots, le poème « Les morts » résume bien cette conversion métaphysique intemporelle. « Quand je suis seul au niveau du monde » (2). N’est-ce pas la base à une réflexion profonde sur le sens de l’existence. Vous le dites de manière romantique et unique en soi :

« Les morts sont moins morts

Que les vivants

Leurs survivants demeurent

Un éclair fend la pierre

Des fragments de verre

Déchirent le cœur. » (p. 72)

Dans « La châtaigneraie », il y a la vérité de la passion, « l’impossibilité de conclure » (Blanchot). Mais, surtout, l’idée d’une élégie profondément mélancolique. C’est très inspiré et c’est très beau.

Notes
1, Jacques Prévert, « Soleil de nuit » p. 238, Folio 1982.
2. Je cite Heidegger du très bel essai « 
Personne n’est une île » de Yvon Rivard Boréal 2006.
Daniel Guénette a fait paraître depuis 1985 des ouvrages de poésie chez Triptyque et au Noroît. Après la publication de ses trois derniers romans, les éditions de la Grenouillère offrent son plus récent recueil de poèmes. Il écrit également des critiques sur son blogue de Dédé blanc-bec.
Daniel Guénette, « La châtaigneraie », les éditions de La Grenouillère 2023.
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Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com