La vie est dure. Nous sommes en mode survie. Stéphane Despatie le sait trop bien. Une transmutation d’un univers misérable. La science du lugubre. Une mythologie dominante de notre époque.
« Survivre à la destruction
Réunir le corps, traverser la saison hantée
Voir l’autre côté de l’écorce
La chair qui se dévore, arpenter l’éphémère » (p.21)
Les idéaux humains qui s’effondrent (la modernité). Tout est permis dans un lyrisme poignant. Le paradis n’existe pas. La jeunesse baigne dans le syndrome du « No future ». L’auteur fait allusion à ces jeunes aux prises avec l’immense problème de la drogue (la cocaïne). Les paradis artificiels comme un couteau sur l’édifice libertaire d’une jeunesse sans idéaux.
« Le petit ange déboulé ne hurle plus
En quinte avec Bowie, gorge ouverte sur une
Stèle, ça sent le jus de raisin ou de la coke fondue » (p.26)
On tourne les pages. Il y a un effondrement. Peut-être un cri du cœur. Darwin a déjà parlé de l’origine des espèces en 1859. Les théories de la prédation, des croisements et la révolution industrielle qui a provoqué un trou noir dans notre conscience.
Un monde de souffrance
Il parle d’un arsenal, d’un rituel pour celui qui se drogue. Nous lisons avec impuissance « à l’intérieur une sombre poudre, un billet pour l’absence »(p.39). Le sacrifice humain. Une sorte de tonnerre, une gerbe d’éclairs destinée à un monde. Son monde? La colère pulvérise. Peut-être un idéal non conformiste sur l’ordre social. Le chanteur David Bowie apparait comme une figure mythique. Il le dit :
« On dirait Bowie teint en noir
On dirait une fenêtre pour s’évader
De la cage » (p.44)
Bowie a été pendant des années dans l’univers de la drogue qui l’aidait a survivre(1). Il a déjà mentionné qu’il n’avait plus le moindre souvenir de l’enregistrement de l’album « Station to Station ». La cocaïne est un psychotrope puissant. Elle peut être un antidote au malheur etfaciliter la survie face à un monde hostile préfabriqué par le consommateur. L’hédoniste et le satanisme se mêlent pour définir une topographie de créativité. Ici, j’exprime ma pensée.
Au-delà du poème
Les paroles biologiques (ceux– là)
« Nous croisons des empereurs greffés de plumes
On remarque les traces des reflets de gyrophares
Dans leurs pupilles Cuauhtémoc hypniques » (p.57)
Une révolte permanente pour le poète. Comment survivre dans une époque où « L’écrivain est perdu dans la lumière ».(Cité dans le chapitre « La demeure, ses vaisseaux. »)Le lecteur est confronté à l’abandon, sans promesse de bonheur.
La peau intérieure
Un incendie de mots. Les nuages qui jouent aux ombres chinoises. La pulpe du silence. Orphelin des images? Apprendre des poètes : Rimbaud et sa saison en enfer et Denis Vanier, ici. Je pense à« la peau intérieure » (2).
« Je brûle à la chair du temps
Le présent perpétuel éclate
Et confond sa pensée en
Gémissant à l’avenir
Les images se mêlent en s’enlaçant
Projetées au paysage » (p.153)
À la fin du chapitre« Pièces de guerre », il y a acte de rédemption, d’espérance
« Sur le parvis de l’église
Attendant le cortège
Qui les amènera ailleurs
Devant la terre » (p.72)
Dans son recueil très élaboré, l’auteur fait référence àSydBarrett, personnage mythique, co-fondateur de Pink Floyd devenu schizophrène. (3) Le poète s’est inspiré d’un proche de sa famille pour la création de son récit. Le lecteur est plongé dans une attente obsessionnelle d’espérance. L’enjeu est immense. C’est comme si on vous disait : Peux–tu saisir l’invisible sous le visible?Notes
Stéphane Despatie a été critique littéraire et théâtral au journal Voir. Il est aussi directeur de la revue de poésie Exit.
Stéphane Despatie, Paroles biologiques, Écrits des Forges 2021.