Pierre Ouellet, La procession des ombres

Pierre Ouellet, La procession des ombres
Une photo en noir et blanc de Pierre Ouellet, un homme plus âgé à l'expression mélancolique. Une photo en noir et blanc de Pierre Ouellet, un homme plus âgé à l'expression mélancolique.

Pierre Ouellet, La procession des ombres . Par Ricardo Langlois

Attention, ce roman est unique en soi. On parle d’un roman initiatique. Dante, Blake, Rimbaud ont un lien secret avec l’Histoire et l’Humanité (1 ). C’est le monde de Cioran dans une certaine mesure. Pierre Ouellet recrée une sorte de genèse. Il s’exprime sur l’infini, le caractère transindividuel de la mort et de sa profonde humanité.

Beauport ésotérique

Nous sommes à Beauport. Il est ami avec quelqu’un, cette personne, est-ce un ange? L’auteur voit des héros légendaires avec l’âme immortelle. Il possède le don du clairvoyant. Il a le souffle de l’Esprit. Il cherche le vrai jour, une éclaircie. Il vit dans une fable. Il est à la recherche de la « Clairière ». « Peut-on refouler nos pensées les plus secrètes? »  Il existe « un peuplier à grandes dents qui veille sur l’Enfance, l’Éden, notre genèse » (je souligne). En tournant les pages, on lit un langage ésotérique. 

« Comment expliquer Dieu ou Diable » (p. 41 )

Il parle de la Sainte-Trinité (le symbole de l’Église Catholique). Plus on avance dans le récit, plus je pense à une autre manière d’expliquer la foi de manière philosophique, d’instaurer un culte spirituel par lui-même . « Comment suffire à son âme? »  Je fais allusion à « Demian »  de Hermann Hesse, un roman d’initiation lu durant mon adolescence. (2 )

Les nuits blanches

Autour du protagoniste, Lhomme, Faye, Allu et Tsé, tout ce beau monde se saoule de paroles, de poésies, d’essence secrète. J’ai pensé à mes amis de Mirabel à la fin des années 70. On voulait changer le monde. J’ai aimé plusieurs passages de ce roman particulier ( de la page 50 a 57 est à souligner), puis il y a le mystère des statuettes. Il y a de beaux moments d’écriture sur le sens de la vie, la spiritualité comme posture.

« Une illumination semblable à celle que l’on vit dans cet état second où nous plonge l’inspiration, comme lorsqu’on rêve, ou prie, chante à tue-tête, peint ou écrit, sculpte sa vie… ou fait l’amour comme si c’était toujours la première fois »  (p. 69 )

Un récit de liberté où l’auteur s’arrache au monde des vivants. Où il prend le risque de l’illumination (Rimbaud ). Il n’y a aucune contrainte quand on est écrivain, poète et essayiste.  Il y a de grands moments d’écriture, celui-ci par exemple :

« Je me suis mis à prier, même si je ne crois pas à Dieu, pas plus que je ne crois à un quelconque interlocuteur lorsque j’écris. Et pourtant, je ne parle jamais seul : je m’adresse au loin, à l’air, au vent… qui me fait écho en m’inspirant à son tour l’air des chansons, des oraisons » (p. 109 ).

Difficile de ne pas penser à Cioran quand il dit :

« Je sacrifierais l’empire du monde pour un seul moment où mes mains jointes imploreraient le grand Responsable de nos énigmes et de nos banalités. » ( 3 )

Vivre est un art sacré

On parle de « géométrie des ombres » (4 ), on veut avoir la foi sans les sacrifices. On s’invente notre propre monde. Être visionnaire comme Rimbaud. Avoir cette grande plénitude d’être qui serait la clef. Oui, mais comment?  Faire comme Kant : évoluer dans le Sublime. Mais comment dire aux jeunes d’aujourd’hui qui ne voient que leurs cellulaires 24 heures sur 24… Parce qu’après l’enfance, on meurt avec elle… On cherche sa Voie? « Pour où? Vers qui? » (p. 203 ) L’auteur ne fait pas de sémantique autour des questions existentielles. Le vrai bonheur serait de s’arracher au monde matériel selon moi. Pour l’auteur, « le repli est la seule solution pour cette armée des ombres. » (p. 255 ) Un repli contre notre planète et ses habitants qui s’enlisent dans des guerres sans nom. Vivre est un Art sacré. Pour l’instant, on survit comme on peut.

Pierre Ouellet a écrit un roman puissant. Loin de plusieurs romans trop épidermiques. Le chercheur universitaire a créé un livre avec beaucoup de nuances. Pas de pensée unique. Est-ce que la Vérité existe dans ce monde-ci? On fouille jusque dans nos rêves, jusque dans nos ombres. C’est le passage de l’Homme avant l’éternité.

Notes

  1. Pierre Ouellet, « Ombres convives ».  Éditions du Noroit  1997.
  2. Hermann Hesse, « Demian ». Roman qui a marqué ma jeunesse. Roman d’initiation.  Livre de poche 1974.
  3. « Cioran, Précis de décomposition »  Gallimard 2011.
  4. Poème « La géométrie des ombres »  dans « J’habite le ciel » de Ricardo Langlois 2023.

Pierre Ouellet a publié trois livres aux Éditions Mains Libres.

« Dernier recours » (essai), « Monde! »  ( poésie ) et « La procession des ombres » (roman ). Consultez notre site pour les critiques.
Pierre Ouellet, « La procession des ombres », Éditions Mains Libres 2023.

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Mains LibresLe Pois Penché

Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com