Jonathan Charette, Nisso, la cité sur le Soleil. Par Ricardo Langlois
Jonathan Charette poursuit une œuvre audacieuse. L’écriture poétique peut être insensée, devenant inventive, cabalistique. L’auteur est à la hauteur de son langage coloré. Il lance une bombe sur des schémas conventionnels. On lit une page. Ouf! Nous sommes transportés dans un monde imaginaire. « Un vocabulaire neuf, avec la lumière » (1)
Une sorte d’enchantement
Il y a mille manières de s’investir ou simplement de sublimer le Réel. Nisso est le non-lieu d’un éblouissement à vouloir recréer une manière anarchique contre le formatage d’une forme traditionnelle de la poésie. Un détachement. La liberté des impressions. La construction d’une esthétique toute personnelle. Une écriture limpide, un désir d’abandon. Écrire dans un Temps qui n’existe pas. Depuis, « Ravissement à perpétuité » (Prix Émile-Nelligan), Charette poursuit une œuvre « anomique ». Je me souviens de « La dévotion». (2 )
« Nous ralentissons auprès des prostituées qui joignent les paumes à notre passage. Elles exhibent leurs lésions aussi désordonnées que les nôtres. Nous nions la pornographie des larmes. »
Surréaliste et lumineux
Son livre « Nisso, la cité sur le Soleil »ressemble plus à un roman exploratoire. Un pur plaisir. Un livre de liberté et d’éloquence. Je choisis Poésie : « Le typhon est le poète national. Après une phrase romantique, il s’est lancé dans des expérimentations formelles des plus déroutantes. Maintenant, son écriture se démarque par un hermétisme assumé (je souligne). Chacun de ses livres est rédigé avec un crayon aiguisé dans un abîme. Lorsqu’il jette un poème au feu, une explosion confirme qu’un combustible coule dans les veines des mots. » (p.38)
Le meilleur de son livre me parait plutôt dans les longues séquences où l’écriture s’assume davantage. « Saint-Tropez (p. 60 ), Nice (p. 63 ), Beaulieu-sur-mer (p.65), Eze (où il parle de Nietzsche p. 66 ), Monaco » (il parle d’un livre de René Char, p. 67 ) et surtout « Mentor » (où il parle de lui au passé, p. 68. )
Depuis son voyage à Nice, Charette a subi une sorte d’illumination. On parle d’un roman d’apprentissage, un hommage aux jeux vidéos, mais surtout de la poésie surréaliste. C’est un rêve d’adolescent. Une sorte de jeunesse. Narcisse et Orphée réunis. C’est narratif avec de curieux moments culturels : Kurt Cobain, Notre-Dame-Des-Fleurs, Steve Mc Queen, Roland Garros, Matisse, Orphée, Lana Del Ray, etc.
Un autre extrait, je choisis « Paloma » :
« De loin, j’assiste à une féérie incroyable.
Un lilas peine à épeler son nom, une hirondelle réinvente les clairières : la nature entière est prise de stupeur.
Cocktails avec absinthe, vodka et tonique. Substances interdites dans la porcelaine, traces de mirages sur les miroirs : quelle déchéance…
Les yeux clos, je songe au cahier d’écolier dans mon baluchon… » (p. 100 )
Malgré la complexité de « Nisso, la cité sur le Soleil », il y a une poétique habitable. « On nous parle sans cesse de Désir, jamais du Plaisir » disait Barthes (3 ). Nous sommes dans la tête de l’auteur, dans les étoiles, dans la lumière, dans la fantaisie. Aux confins du Cosmos, Charette a sa propre étoile.
Notes
1. Jonathan Charette, « Ravissement à perpétuité », Noroït 2018.
2. Idem, « La Dévotion », p. 41.
3. Roland Barthes, « Le plaisir du texte »,Seuil 1973.