Hommage à Milan Kundera

Photo en noir et blanc d'un homme adossé à un mur, rendant hommage à Milan Kundera. Photo en noir et blanc d'un homme adossé à un mur, rendant hommage à Milan Kundera.
Hommage à Milan Kundera.  Par Ricardo Langlois
C’était avant Christian Bobin (1 ), je terminais mes études à l’Université du Québec en 1997. Je commençais un nouveau boulot à la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes. J’allais dans les bars… 
Je n’aime pas tous les livres de Milan Kundera, j’ai aimé « L’immortalité » plus de 500 pages. Du vrai délire… Son premier livre dans son œuvre littéraire. Né Tchèque, déchu de cette nationalité avant de la retrouver sur le tard, il était l’un des romanciers de langue française les plus influents du monde. 
Le poème de Goethe
À la page 47, il rend hommage à Goethe (2) avec l’un de ses plus beaux poèmes :
« Sur tous les sommets
C’est le silence
Sur la cime de tous les arbres
Tu sens
À peine un souffle;
Les petits oiseaux se taisent
Dans la forêt.
Prends patience, bientôt
Tu te reposeras aussi. »
Être absolument moderne
Nuit d’insomnie, Alice Cooper, le chanteur rock est devenu animateur à CHOM FM, il aime autant Led Zeppelin que Nirvana. J’écris, il est deux heures passées. L’acte brutal d’entrer dans la modernité avec toute la rage.  « Il faut être absolument moderne », la phrase culte de Rimbaud. Il remet tout en question. Kundera fait un procès sur l’époque : « la télé, le rock, la publicité, la culture de masse, le monde de la mode, etc. » (p. 210 )
En lisant « L’immortalité », je vois un panier de mots qui se renverse sur le sol encombré. Des textes martyrisés, des palimpsestes. Écrire doit bien servir à quelque chose. Chaque page, un tableau, un instant de réflexion. On dénoue le temps. La Lumière viendra assez vite. L’abandon se nomme extase. Il parle de liberté pure : je recule quelques pages en arrière :  
« Seul a pu écrire ces mots un homme qui, parvenu à la troisième phase de la vie, a cessé de gérer son immortalité et ne la tient pas pour une chose sérieuse. Il est rare de parvenir jusqu’à cette extrême limite, mais celui qui l’atteint sait que là et nulle part ailleurs se trouve la véritable liberté ». (p. 114 )
Ce roman portant sur le désir d’immortalité raconte l’histoire d’Agnès qui, après la mort de sa sœur dans un accident d’automobile, épouse Paul, son défunt beau-frère. Elle s’effacera ensuite peu à peu pour devenir en quelque sorte une doublure de sa sœur disparue, à qui elle offrira ainsi une part d’immortalité.
Kundera est un volcan. L’antinomie radicale entre l’individu et la société. Il cherche le rapport profond avec l’écriture à la douleur (la recherche formelle). L’écriture au-dessus de la souffrance. Il réinvente tout. Comme Rimbaud. Je vous le dis honnêtement. Il est difficile de résumer ce livre. Par contre, l’accès au pays d’amour lui demeure invisible. Ce qui est bon, il ne le connaît pas. Nous sommes dans deux époques : l’histoire d’Agnès, Paul et Laura au XXe siècle et l’histoire de Goethe et Bettina von Arnim en Allemagne fin XVIIIe siècle. Kundera se transforme en philosophe. Il parle de la vie, la mort, l’immortalité, l’amour, les rapports humains, etc. Il cite Rimbaud à nouveau :
« Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines aux cailloux des chemins… » (p. 330 ). Il dira ceci :   « Avant même de disparaître du paysage, les chemins ont disparu de l’âme humaine : l’homme n’a plus le désir de cheminer et d’en tirer une jouissance. » (Idem )
Vous pensiez connaître le chemin de votre vie, et le voici qui se dérobe, tu perds l’équilibre. Tu découvres la sauvagerie magnifique de la vie. La terre bouillonne. Les écrans sont allumés partout. Tu t’ennuies de ta machine à écrire. De ton chat mort depuis dix ans. Heureusement, une voix forte va changer ma vie. Je découvre Bobin et « La souveraineté du vide »
« Un jour viendra où une main de lumière heurtera le bois du cœur, avec une telle insistance que je ne pourrai faire autrement que me lever, et ouvrir… » (3 )
Paroles de Milan Kundera sur l’art du roman 
« Je me refuse par principe à expliquer mes romans, à répondre à la question de savoir ce qu’a voulu dire l’auteur, car tout ce qu’il a voulu dire, il l’a dit dans son roman. Et s’il n’a pas dit quelque chose, c’est précisément qu’il ne voulait pas le dire. D’un autre côté, je me laisse toujours volontiers entraîner à parler de ma poétique. C’est sans doute un héritage de mon passé lié à la musique. l’expérience de base d’un musicien lui apprend qu’une composition s’écoute avec d’autant plus de facilité et de plaisir que sa structure formelle est familière à l’auditeur. »
Pour Milan Kundera, le roman doit « découvrir ce que seul un roman peut découvrir », à savoir « une portion jusqu’alors inconnue de l’existence », certaines vérités existentielles fluctuantes, floues, non systématisées, non synthétisables en quelque essai. Le roman permet de comprendre « le monde comme ambiguïté [il affronte], au lieu d’une seule vérité absolue, un tas de vérités relatives qui se contredisent (vérités incorporées dans des égos imaginaires appelés personnages) ». Chaque roman est construit sur quelques thèmes existentiels, quelques mots qui « sont, dans le cours du roman, analysés, étudiés, définis, redéfinis, et ainsi transformés en catégories de l’existence. »
Chez Kundera, la trame narrative n’est que le prétexte au développement des réflexions sur ses fameux thèmes. Ainsi, ses personnages (ses “égo-expérimentaux”) sont caractérisés par une série de mots-clés. Le corps, l’âme, le vertige, la faiblesse, l’idylle, le Paradis sont les mots associés à Tereza, la figure féminine principale du roman le plus connu de l’auteur, “L’insoutenable légèreté de l’être”.

Notes
  1. Christian Bobin a été une découverte, une révélation dans l’écriture. La vie intérieure qui s’exprime dans le quotidien. La lumière, la joie, l’enfance sont les grands thèmes universels.
  2. Goethe. Le poème qu’Agnès a appris jadis par son père. Il faut lire la postface de Francois Ricard pour mieux comprendre.
  3. Je cite la quatrième couverture de « Souveraineté du vide », Folio, 1995.
Je tiens à remercier le poète Sylvain Turner pour son aide précieuse sur une partie du texte.
Kundera, « L’immortalité », Folio 1993.
Milan Kundera est mort le 11 juillet 2023 dans l’après-midi à 94 ans à Paris.
Mains LibresPoésie Trois-Rivière

Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com