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REVIVISCENCE (Écrits de jeunesse revisités.) (Texte no. 8)

Un homme debout au sommet d’une colline sous un ciel étoilé, capturant l’essence de la reviviscence. Un homme debout au sommet d’une colline sous un ciel étoilé, capturant l’essence de la reviviscence.

REVIVISCENCE (Écrits de jeunesse revisités.) (Texte no. 8).  Par Robert Clavet
Spiritualité pour les temps nouveaux
Selon la symbolique chrétienne, nous pourrions dire qu’après la révélation du Père (de la Loi) et du Fils (de l’Amour), nous vivons actuellement la révélation du Saint-Esprit (des Énergies divines et de la Liberté comme pouvoir positif de création) qui n’est pas une révélation théologique, mais dépend cette fois de l’initiative créatrice humaine. Déjà, dans le mouvement personnaliste inauguré par Nicolas Berdiaeff durant la première moitié du siècle dernier, l’idée de « personne » se dégage du terme « persona » (« masque de théâtre », désignant le moi psychologique et le mental) et prend figure d’hypostase consubstantielle à la deuxième Personne de la Trinité. Le lien divino-humain où Dieu se révèle comme l’Aimant et l’être humain comme l’aimé appelé à une vocation créatrice, suppose une essence commune et une relation fondée sur la liberté. Toutefois, même si les natures à la fois divine et humaine de Jésus-Christ (archétype de l’essence commune entre le Divin et l’humain) ont été théoriquement affirmées dès les premiers siècles du christianisme, l’idée de la divino-humanité ne s’est pas imposée dans l’histoire occidentale. Paradoxalement, en effet, l’histoire chrétienne a d’un côté élevé l’être humain jusqu’à en faire un enfant de Dieu, mais l’Occident chrétien a très tôt cherché à diminuer en importance le Saint-Esprit (le Filioque) et, par conséquent, à diminuer l’importance de la liberté et de l’action créatrice au profit d’une nécessité causale tendant à renforcer l’autorité ecclésiale et à prescrire un sacramentalisme mécanisé au détriment de la reconnaissance d’une participation déifiante aux énergies divines. Pourtant, la divino-humanisation est le fondement des plus grandes valeurs occidentales. En effet, en reconnaissant une association divino-humaine, l’être humain est dès lors irréductible à toute définition le réduisant au rang de moyen ou d’instrument au détriment de la liberté et des droits, comme dans l’idéologie communiste.
L’anthropologie déficiente du christianisme historique occidental a largement contribué à la crise du Monde moderne dont l’humanité subit actuellement les conséquences (en particulier le spectre d’une guerre nucléaire). En effet, seule la reconnaissance de l’anthropologie divino-humaine aurait pu faire en sorte d’éviter l’opposition radicale entre une vision de Dieu rabaissant l’être humain, et une affirmation de l’être humain réduisant Dieu à n’être qu’un « opium du peuple » (Marx). Mis au service d’un idéal bourgeois, un large mouvement religieux a voulu construire une théologie rationalisée (substantialiste, statique et autoritariste) à laquelle on a opposé une idéologie révolutionnaire, mais dont l’anthropologie réduit l’être humain à l’état d’une sorte d’instrument étatique capable d’inventer Dieu. Dans cette théologie, la grâce et la vie divine ont été définies comme des objets créés où un rapport causal remplace la participation aux énergies divines. Ce rationalisme réducteur a conduit à une interprétation juridique de la liberté et de la grâce au détriment d’une spiritualité créatrice où le pouvoir transfigurant des énergies divines est vécu comme appel, nourriture et réponse à l’effort créateur humain.
Pour favoriser une spiritualité intériorisée et dynamisée, les données de la révélation doivent passer d’une autorité externe à une réalité intérieure, en communion. La foi ne vient pas de l’obéissance à une volonté extérieure, mais est un risque et une aventure de l’esprit, un acte d’amour électif. La spiritualité de la troisième époque spirituelle nous invite à un processus déifiant, à commencer par la confiance et l’accueil de ce qui permet d’espérer contre toute espérance. La foi vécue fait éclater les limites de la raison autonome et l’attachement idolâtre au moi, dans une aventure et un risque humain en réponse au risque divin inhérent à une dynamique d’amour et de liberté. La liberté divine se donne énergétiquement et la liberté humaine passe par l’intériorisation et l’activité créatrice. Au plan de l’expression, l’être humain peut témoigner de sa nostalgie de Dieu à travers les miroirs de l’existence. Être tendu vers un autre plan de la réalité tout en étant conscient de sa condition contribue au caractère tragique de l’existence, mais la confiance rend possible une espérance qui va outre les illusions de ce monde et leur lot de déceptions. La vraie liberté est « un élan passionnel vers le Bien dans l’unité de la connaissance et de l’amour qui produit ses propres raisons selon une logique du cœur » (Maxime le Confesseur). En comparaison, le libre arbitre est une liberté indigente où l’être humain, tourmenté par des désirs contradictoires le rendant hésitant, délibère sur les possibles en vue de choisir le moindre mal.
La liberté et la participation aux énergies divines ne s’opposent pas : l’effort immanent peut s’associer à une vivante transcendance. Le principe d’une seule et même substance divino-humaine en Jésus-Christ symbolise parfaitement l’unité intérieure de l’être humain à l’image du Divin et pouvant participer à Ses énergies, d’où la primauté de la liberté créatrice sur l’obéissance. L’idée de « l’équilibre du divin et de l’humain » implique une vision où non seulement les facultés morcelées s’unissent dans l’intégrité de la personne, mais où l’unicité mystérieuse de chacun s’accomplit en union avec tous les uniques. La divino-humanité constitue le fondement et le but de la création : l’être humain est appelé à participer à la vie divine dans un acte d’amour, et qui dit amour dit liberté. Dans la spiritualité de la troisième époque, l’opposition radicale entre le subjectif et l’objectif est surmontée : au fondement de la réalité apparente, il y a une réalité originelle antérieure à l’antinomie sujet-objet. Tout objet peut être transfiguré et prendre valeur de symbole, et tout symbole pointe vers un autre plan du réel. Le point de repère est le sujet concret de la connaissance, capable d’unifier raison et émotion, car l’esprit de celui-ci est enraciné en une réalité originelle. Le défi individuel consiste à devenir ce que l’on est vraiment en élevant notre niveau de conscience, sans toutefois négliger les efforts pour trouver le nécessaire équilibre pour pouvoir avancer sur le sentier de la vie. Chez la personne concrète se trouve donc une réalité qui précède la scission entre le sujet connaissant et l’objet connu, à l’origine d’une nostalgie de l’unité perdue. Incidemment, à des consciences plongées dans la multiplicité, le « bien » et le « mal » apparaissent corrélativement, les deux étant indissociables. Bien qu’elle s’accomplisse dans le temps et l’espace, le cheminement sur la route de l’intériorité est vertical et, en vue du plus grand Bien, peut impliquer une relativisation du bien et du mal normatif. « Aime et fait ce que tu veux » (Saint Augustin). Et « paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! » (Luc 2, 14).
La recherche scientifique fondamentale est une grande aventure dont la limite est la perspective du « grand tout unifié », mais elle s’autolimite en excluant le sujet concret de la connaissance dans ses résultats. Mais l’esprit humain est placé devant cette antinomie selon laquelle se compénètrent le monde phénoménal (celui du changement, de la multiplicité, de l’espace-temps, de la finitude et de la quantité) et la réalité nouménale (celle de l’Unité principielle enracinée en le Néant, de l’Éternité et de l’Infini). Conscients de la différence entre les discours spirituel et scientifique, plusieurs savants, émerveillés devant l’immensité et l’énigme qu’elle pose, ont témoigné de leur sensibilité spirituelle. La rigueur scientifique et l’ouverture à ce qui est non objectivable ne sont pas incompatibles, mais conduisent à dediscours différents. Par des symboles, des analogies et des antinomies, des poètes et des philosophes tentent, avec une docte ignorance assumée, de faire communiquer le particulier et l’universel, le même et l’autre, le mouvement et le repos, le rêve et l’état de veille, l’activité et la passivité, l’éphémère et l’éternité. Ils témoignent de cette puissance qui nous fait voir les choses particulières dans une obscure Lumière qui les dépasse toutes. Il y a un lien indissoluble entre le monde phénoménal et la réalité nouménale. Incidemment, les récentes acquisitions de la physique disqualifient le vieil empirisme qui faisait de l’expérience sensible l’origine de toute connaissance. La pluralité participe à l’unité, et celle-ci se laisse en quelque sorte participer par la pluralité. L’étonnement et la contemplation favorisent une dilatation de la conscience. Ainsi, en nous libérant des limitations du mental, notre conscience primordiale peut par exemple se souvenir des Idées du Beau, de la Justice et du Bien, mises en perspective par une réalité qui comporte de nombreuses zones grises. Chose certaine, en nous adonnant à une confiance qui fait foi, nous pouvons intuitionner ce foyer vivant qu’est la divine présence. Le sujet intégral est une créature de Dieu, alors que l’objet (issu d’une « conscience secondaire ») est une création du sujet.
Ni l’objet connu ni le sujet connaissant mais la personne en chair et en os comporte une dimension nouménale. Sous réserve de la simple confiance, l’être humain intégral peut, sans déni de la mort, espérer en un sens de la vie. Plus l’être humain est conscient, plus il est ouvert à la fois à l’abîme de l’Infini et à l’abîme de sa finitude. Le don de sagesse vient d’une inspiration qui rend sympathique la perspective d’une totalité transcendante et, source d’espérance, fait entrevoir la mort comme une mystérieuse résurrection. Dans la nuit de tous les savoirs, notre être authentique requiert une lumière que la simple confiance rend accessible. Le Soi, au sens jungien, manifeste une mystérieuse présence reliée au moi et à la conscience. En transcendant mystérieusement sa nature incréée pour se donner, Dieu naît éternellement du Néant en posant une Liberté initiale au fondement de la liberté humaine. L’être humain peut dévoyer la liberté ou en rejeter le fardeau, mais, dans la manifestation, Dieu ne peut pas se passer de la liberté humaine et de sa réponse créatrice. La spiritualité vive est une réponse humaine à l’amour divin.
Robert Clavet

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.