Joséphine Bacon, Kau Minuat, Une fois de plus. Par Ricardo Langlois
Il n’y a pas de hasard. J’ai rencontré Joséphine Bacon au terminus Berri. Je lui ai dit le bonheur que j’avais eu à la lecture de « Uiesh-Quelque part » c’était en 2020. Juste en la regardant, on a envie de lui dire à quel point sa poésie nous amène à nos origines. Elle le dit si bien : « Aujourd’hui, je suis quelque part dans ma vie. J’appartiens à la race des aînés. Je veux être poète de tradition orale » (1 ). Nous apprenons à découvrir tout un monde.
À la mémoire des anciens
La poésie de Joséphine Bacon est fluide. La lumière est partout. Comment pardonner quand la blessure est inguérissable à travers le temps? Il y a le pardon, le silence, le recueillement. C’est un peu tous de ses états dont il est question.
« Je n’ai pas revêtu
Mon habit de guerrier
Je t’ai abandonné
Avec ton chagrin
Je n’ai pas su te consoler
Aujourd’hui j’ai mal, plus qu’hier
Je nous observe
Le pardon est si dur
À donner l’absolution » (p. 18 )
La lumière qui émane de la poésie de Joséphine Bacon s’enracine au plus profond de nous. Malgré la terre rocailleuse, les feux de forêt, les inondations, j’aime cette idée de s’enraciner dans le sol. Après des siècles de silence et de pauvreté.
« Nous sommes du même silence
Je me recueille
Pour te remercier
De l’ordre de l’été
Par la lumière
De tes feuilles d’automne » (p. 30 )
« Tu te tiens devant moi
Je me cache
Le cœur brisé
Tu martèles
L’enfant que je suis » (p. 38 )
Voici un livre lumineux qui parle de solitude, d’obscurité et de silence. Il faut expliquer la vie. Le lecteur est confronté à la fin de la récréation. Il doit franchir le mur de l’âme. Être à l’écoute de la Conscience et du Temps. Il faut savoir lire entre les lignes.
Le chant de l’éternité
J’ai pensé à Leonard Cohen : « C’est à toi que je parle, la solitude à l’unité, l’échec à la miséricorde et la perte de la Lumière. » (2 )
Comment se redéfinir, quel est le chant de l’éternité? La narratrice avance doucement. Une sorte d’autoportrait se dessine tout au long du récit. « Cette poésie nourrit l’esprit de l’homme en l’abouchant au cosmos. Il suffit d’abaisser notre prétention à dominer la nature. » (3 )
Francis Ponge a bien compris à quel point la poésie joue un rôle important dans la compréhension d’un monde qui fait de plus en plus abstraction de la mémoire. Cette poésie est essentielle. Le récit est très émotif, Joséphine Bacon met à jour l’effondrement culturel de notre modernité. Refuser ce monde pour sauver l’humanité.
« Je quémande
L’éternité
Jusqu’à l’épuisement
Je conterai » (p. 86 )
Cet autre poème pour construire le poème de la Conscience. Comment écrire? Quel regard jeter? L’affect, l’émotion. Accueillir notre présence au monde.
« Une voix pour dire
Les récits à transmettre
Des mots pour écrire
Les pas à suivre
Le sentier
Qui me guide
Vers ton enseignement
Apprendre la paix » (p.98 )
L’interdépendance ontologique
Dans le monde de la poésie, Joséphine Bacon écrit à contre-courant. Au-delà du monde moderne, d’un temps de consommation, il faut espérer pour les enfants et les petits enfants. Un miracle a une vie proche des démunis, des clochards célestes. L’autrice a l’intuition de l’interdépendance ontologique.
Elle parle au cœur, à la condition humaine. Elle parle d’écrire sa mémoire (p. 104 ). Elle marche aux côtés des pauvres (p. 106 ). Elle parle de guérison comme l’arbre (p. 112 ). Elle parle aussi d’espoir (p. 118 ). Toujours cette écriture qui éclate en mille fragments de silence. Toujours écrire, comme une prière essentielle à l’humanité.
Note
- Joséphine Bacon, « Uiesh- Quelque part », Mémoire d’encrier, 2018. Prologue.
- Leonard Cohen, « Livre de la miséricorde », Seuil 2020.
- Francis Ponge, « Le grand recueil », Gallimard 1961.
Joséphine Bacon est une poète innue originaire de Pessamit. Elle est née en 1947. « Un thé dans la toundra » a été finaliste au Prix du Gouverneur en 2013. « Uiesh Quelque part » 2018, a reçu le Prix de Libraires en 2019. Il figure dans les meilleurs livres de l’année 2019 sur lametropole.com. Lire aussi : Uiesh Quelque part de Joséphine Bacon
Joséphine Bacon, « Kau Minuat – Une fois de plus » Mémoire d’encrier 2023.