Pierre Nepveu, Géographies du pays proche. Par Ricardo Langlois
J’ai envie de vous parler d’un essai lumineux. Un livre sur l’amour du Québec. Quel est notre rapport au monde, au pays ? Peut-on transcender un pays imaginaire puisque le Québec est une solitude ? Comment ne pas voir dans le processus d’écriture, son amour pour le poète Gaston Miron. Après tout, il a écrit sa biographie (1).
Le Québec sacrifié
Moi, qui ai travaillé pour le Parti Québécois en 1976, c’était clair que le Québec était pour être mon pays, ma langue, mon territoire. Le plaisir de vivre dans un pays de lumière et de neige. À cette époque, il n’était pas question d’écologie ou de droits aux minorités. L’éthique de la proximité dont fait preuve la littérature est à souligner. Je l’avoue en écoutant Harmonium ou les Séguin, j’avais une vision poétique du monde. C’était l’époque identitaire. Le Québec a sacrifié en liquidant sans distinction son héritage catholique. La question du pluralisme devient un enjeu important. Un souci ou une interprétation sémantique.
Et si Miron avait raison? Il avait compris que le combat qu’il menait pour sa langue et son pays était un combat universel, et que plus on est sûr de la langue et de sa culture, plus on est ouvert aux autres. Jean Royer a fréquenté Miron pendant plus de trente ans. Il le décrit ainsi : « L’art poétique de Gaston Miron, simple et cohérent, mais riche et complexe à la fois, se déploie dans ses discours privés et publics (…) La poésie lui apparaissait comme une figure de l’amour. » (2 )
Et la Révolution tranquille?
Selon Nepveu, aujourd’hui au Québec, plusieurs penseurs éminents pensent que l’échec de la Révolution tranquille consiste en ce qu’elle n’a été qu’une révolution culturelle, faute d’une pensée et d’une action véritablement politique. Je demeure sceptique devant une telle affirmation. (p. 150 ) Il évite les mythes collectifs, il regrette la vision antireligieuse de notre existence.
Il dira à La Presse quelque chose de fondamental : « Je ne suis pas religieux, mais je suis obligé de constater qu’il y a une expérience spirituelle qui a accompagné la religion catholique, qui est souvent sous-estimée. Cette éthique du prochain qui est maintenant complètement évacuée. » (3 ) Personnellement, je me sens concerné par ses propos. Je me sens orphelin d’un fabuleux passé.
Pour éviter le Vide
Les livres de poésie comblent le Vide. Le pays proche pour tracer la frontière. Pour éviter le Vide. Sculpter le monde avec les mots. Nepveu, lui, a son idée. Pour lui, la poésie a beaucoup à voir avec l’extériorité avec le dehors. Non pas qu’un poète soit dépourvu de vie intérieure (…). L’émotion n’est plus intime, elle est dans l’objet, la personne, la scène, le paysage (p.224 ).
Il cite de nombreux poètes que j’admire : Émile Nelligan, Gaston Miron, Anne Hébert, Jacques Brault, Élise Turcotte, René Lapierre, Gilles Hénault, Natasha Kanapé Fontaine, Michèle Lalonde, Gérald Godin, Marie Uguay, Pierre Morency, Nicole Brossard, Hélène Dorion. Il explique la poésie québécoise contemporaine comme « une sorte de topographie de l’existence ». Comment définir son territoire?
Moi qui a vécu à Mirabel, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve et maintenant en Montérégie, le Québec (le pays) est dépassé par le tragique de son existence, par un réservoir de consolations (Michel Onfray), le vin, la drogue, la musique, les femmes, les réseaux sociaux, etc. Parce qu’il faut bien trouver un Sens. Un revers à l’hédonisme, à la matière, à l’ère du « Me, myself and I » . Il faut éviter le subversif (le suicide de Hubert Aquin). « Ce peu de lumière, ou le trouver? Par la neige? »Mathieu Bélisle a trouvé les mots justes (4). Une écriture blanche dans la simplicité.
Le pays réel
Aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence, il n’y a pas de pays réel. Il n’y a que des imaginaires collectifs. Il faut écrire, trouver notre espace, notre lumière entre la naissance et la mort. Le Québec ne sera plus jamais comme avant. Les fantômes passent les uns après les autres. Avoir un patrimoine, est-ce une vision à long terme? Qu’en pense le citoyen? (Admirateur d’Octavio Paz, il définit la poésie comme un acte éthique et citoyen).
Au nom de la mémoire collective, on se souviendra de la fin des années 70 comme d’un rêve utopique qui a nourri la « génération lyrique ».Nous avons rangé la vie de l’Esprit sur « un vaisseau d’or ». Ce poème de Nelligan écrit comme le décentrement du psychisme, l’infirmité du langage (5). C’est un miroir brisé comme le poème oublié dans la grande noirceur.
« Que reste-t-il de lui dans la tempête brève?
Qu’est devenu mon cœur, navire déserté?
Hélas! Il a sombré dans l’abîme du Rêve!… »
Ce jeu invisible qui me met dans l’attente. La foi en l’Unité, « l’appartenance à l’orthodoxie idéologique du temps. » (6) Il y a une fissure avec le grand rêve utopique du pays. Dieu, Loi, Langage… comment vivre dans un pays de solitude? Nepveu est au seuil d’une porte infranchissable pour le Québec et son avenir. Pour combien de temps encore, allons-nous exister?
Note
1. Pierre Nepveu, « Gaston Miron, La vie d’un homme ». Boréal, Compact, 2012.
2. Jean Royer, « Gaston Miron sur parole » , Bibliothèque Québécoise 2007.
3. Dominic Tardif, Entrevue La Presse +, 10 mai 2022.
4. Mathieu Bélisle, « Ce qui meurt en nous », Essai Leméac 2022.
5. Jacques Brault, « Chemin faisant », Essai Boréal 1994.J’ai pris quelques notes sur son interprétation du mythe autour de Nelligan.
6. Francois Charron, « La passion d’autonomie », Essai, Les herbes rouges 1997.