Stéphane Despatie, Fretless. Par Ricardo Langlois
Lire lentement au milieu de la nuit. Se souvenir de la musique que j’ai tant aimée. L’auteur mentionne une cinquantaine d’artistes musicaux, parmi eux, Voivod, Les Doors, Judas Priest, Leonard Cohen, Ozzy, Metallica, ACDC, Emerson Lake and Palmer. J’admire ceux qui écrivent de gros romans où la vie est un échafaudage de dialogues, d’images, de réflexions philosophiques. J’ai pensé à Kundera, L’immortalité, à Christian Mistral, Vamp. Despatie a développé un style unique. Ce roman se lit avec un bonheur immense.
L’intelligence rebelle
Un roman qui souligne les années 80 et 90. « L’intelligence rebelle de la conscience se débat avec les acquis et les risques du dire. Personne n’aura le dernier mot. Il y a de multiples voix » (1 ). Cette voix, celle de Jim Morrison est vitale : « Les paraboles de Morrison, dont je ne comprenais ni la langue ni l’univers, avaient plus d’impact sur moi que les prières qu’on apprenait par cœur à l’école. Et pourtant, j’aimais ça, les prières » (p. 13)
On cherche des réponses. On se questionne. On écoute Rush, Metallica, Van Halen et tout ça avant de booker des groupes (p. 69). Désolé, Monsieur Despatie, j’ai l’impression que tu parles de moi (2 ). Pour le reste, l’écrivain est un poète qui creuse les gouffres, le temps sacrifié. « La poésie, il y en avait déjà plein, partout autour de moi. En fait, on tentait tous et toutes, inconsciemment, de franchir le mur du son, et de le franchir souvent. On le testait ce mur » (p.113). Il sait aussi être humble avec ses amis (musiciens), ses « mésadaptés sociaux affectifs qui fréquentaient assidûment quelques pizzérias. » (p. 132)
Exercices de mémoire
Despatie est soucieux dans les détails. Et de plus, il pense tout haut son histoire : « Nous marchions comme un long poème s’écrit, c’est-à-dire d’un grand souffle, ensemble, répétant chaque pas comme des notes importantes écrivant une histoire qui ne pourrait jamais finir… » (p.137 ).
Par ailleurs, le narrateur parle d’engagement (p. 163), de l’amour fou (p. 178). Du refus global (p. 215 ), de Kundera (p. 220 ), Lépine, le tueur de Polytechnique (p. 233 ). Le déroulement du roman nous porte constamment à réfléchir, même si parfois, on se perd dans les détails. Les anecdotes sortent d’une période phare. La joie de ressentir qu’à cette époque, les créateurs avaient l’esprit ouvert. Comment résister au temps? Ce livre est un grand feu (3). Il ressuscite une fin de siècle.
Au rythme de la fiction, il y a une trame sonore. Une vie de bohème. De recherche intérieure. Les vestiges d’un autre siècle. La contre-culture (promesse interne) en filigrane. La dissonance d’une basse, d’une « fretless » m’emporte et s’infiltre doucement dans mon inconscient. Bachelard dirait, il y a, dans ce roman, les mémoires les plus intimes.
Passionné de guitares, d’œuvres d’art, son obsession pour un tableau d’un peintre montréalais, Despatie expose avec subtilité une personnalité hors du commun. Il est rare en littérature de mettre en évidence autant l’art, la musique rock que la poésie avec une vivacité qui dépasse tout jugement éthique.
J’ai pensé à Patti Smith
Ce poème « Les feuilles folles » (4 ) me fait penser à ce grand roman :
« Les esprits qu’on évoque
Les mythes écartelés
Tout ce qu’on a traversé
Et les couleurs portées
Chaque abîme pénétré
Chaque histoire inventée
Et les feuilles tombent
Tombent au sol. »
J’ai lu et relu ce livre sous un angle personnel. Un hommage à la liberté d’expression, à la musique, à l’amitié, à un gros morceau d’humanité. Mes hommages Stéphane Despatie.
Notes
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François Charron, « La passion d’autonomie » (littérature et nationalisme ) suivi de « Une décomposition tranquille ». Essai, Les herbes rouges 1997.
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Je fais allusion à l’époque où j’avais un fanzine et que j’organisais des concerts de métal au café Chaos (2000-2006 ).
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Je pense à son magnifique recueil de poésie « Garder le feu », Éditions Mains Libres 2022.
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Patti Smith, « Just kids », Folio 2016.