Marcel Labine, Comme si c’était comme ça. Par Ricardo Langlois
Il écrit aux Herbes Rouges depuis 1975. Son écriture est singulière et prophétique. Une soif de vérité. Ses poèmes découpent les contours avec rigueur et nuances. Je l’avoue, cette autopsie sur notre monde qui court à sa perte, est une sorte de réflexion lyrique qui me plait beaucoup.
Le Royaume se meurt
Cette poésie narrative ressemble à une nuit d’hiver. À une forme de contemplation du Néant. Vous le voyez sur vos écrans (les guerres, l’éducation, l’identité, le militantisme Woke ).
Jusqu’où vont-ils aller ?
Dans la mutilité à seule fin
De s’approprier un royaume
Celui qu’ils usurpèrent
Bien avant qu’ils naissent dans les langes parfaits
Du réel
Jusqu’où vont-ils humilier la parole ?
Des vivants pour qu’en lieu et place
De mots
N’existe que leur image immuable
À quel moment se brouillera-t-elle ? (p. 68 )
Aucun repère
En parallèle, je lis le poète Pierre-Yves Soucy :
Ici aucun repère on avançait
Dans son propre souffle
Ravaudant les épreuves
Les récidives de nos refus (1 )
À travers les mots du poète Labine, on cherche (malgré nous ) l’immense intensité de la joie occulte. Ici, la vie va trop vite. Une grande convocation d’images dans ma chambre pleine d’inquiétude. Comment éteindre le feu? Comment vivre? Michel Onfray (le philosophe préféré des Français ) voit l’homme comme l’épicentre, de cet étrange combat dont surgissent les lignes de force à partir desquelles se cristallise une identité (2 ).
Une éthique dans un ciel déserté. Labine est lucide. Il voit ce que plusieurs d’entre nous voient sans vouloir le voir.
Sachant que le poème risquerait
De ne pas survivre et que ce qu’on dit
D’ici-bas tiens souvent à la proximité
Des comparses que celui-là se crée
On fait comme si c’était comme ça (p. 97 )
Labine est un immense poète. Un visionnaire qui écrit sa désespérance. Je vous comprends très bien. La rage m’habite. J’entends sourdre en moi l’humiliation de ne pouvoir y échapper. La vie se mêle de vous. La vie s’emmêle. Certains disent qu’il faut se battre. Il y a des cycles de douleur dans chaque vie humaine. Vous faites allusion à Dante Alighieri comme des entrelacs de dragon. Est-ce donc l’anéantissement? Ou La grande transformation. ( 3 )
Sous les non-dits
Derrière les lèvres closes
Contre celles de tous ces
Grossiers camions qui passent en nous (p. 110 )
Le bruit de la douleur se fait entendre. Labine, le poète prophétique n’a pas la langue de bois. Un magnifique livre de méditations sur l’humanité.
Notes
- Pierre-Yves Soucy, Fragments de saisons, L’Hexagone 2018.
- Michel Onfray, La Sculpture de soi, Le livre de poche 2012.
- Rilke, Les élégies de Duino, commentaire. GF Flammarion, 1992.
Marcel Labine, né à Montréal en 1948, est poète. Après des études en littérature à l’Université de Montréal, il a enseigné au Collège de Maisonneuve pendant 33 ans. En 1975, il publie pour la première fois un recueil à la revue Les herbes rouges. Par la suite, certains de ses textes ont été publiés dans diverses revues, dont Estuaire, Exit, La Nouvelle Barre du Jour et Mœbius. Quelques-uns de ses recueils lui ont valu d’être finaliste ou lauréat d’importants prix. Prix du Gouverneur général en 1988 pour Papiers d’épidémie.
Marcel Labine, Comme si c’était comme ça, Les Herbes Rouges, 2024.