Nicholas Dawson, Peur pietà. Par Ricardo Langlois
Ce recueil de Nicholas Dawson me fait penser à cette idée : pourquoi lisons-nous des poèmes? Qu’attendons-nous au juste de cette activité étrange pour le commun des mortels ?
La poésie n’est pas un divertissement, pour moi, il y a une forme de méditation. On le ressent à la lecture d’Émily Dickinson, Hélène Dorion ou Saint-Denys-Garneau. Il y a une prise de conscience. Une épigraphe au début que je souligne : « Car l’amour ne suffit pas, il faut aussi prendre soin de la foi » de Louise Dupré(1).
Autobiographie
Dawson parle de lui sans concessions. Dans son récit « Désormais ma demeure », il y avait la dépression, la peur. Un partage d’affects. (2 ) Nous sommes plongés dans son enfance. Déchiffrer sa raison d’être. Un voyage constant dans le temps. Explorer jusqu’au Moi le plus profond. Traverser les vagues, les gouffres, l’abime, la Lumière. Ce n’est pas un rêve. C’est l’écrivain qui explore.
« Je ne résiste plus
À la tentation d’écrire
Agenouillé
Soumis au rythme polyglotte
Aux courants del idioma
Quenunca hablamos juntos
Pour maintenir les regards qui s’achèvent
Pleurent rouge
S’épuisent » (p.14 )
C’est familial. Le cancer de sa sœur, l’enfance religieuse, la grand-mère pieuse (3 ). L’âme qu’il faut sauver. La religion comme la Grande Noirceur. Dans la Bible, c’est Job qui est le plus malheureux. On oublie ceux qui souffrent pour Dieu. Sans Dieu, sans poésie, sans psaume, c’est le vide (là, je parle pour moi ). Le poète Dawson est sociocritique, il déconstruit en ajoutant des phrases en espagnol. C’est son monde. Il observe. Il intériorise.
« Je demeure enfant
Incapable et peureux
Recouvre mon abri
D’où j’invente
De nouvelles incantations
Un lexique modeste
Des questions naïves quelques
Souvenirs
Des apories à chantonner » (p. 55 )
Chambre à échos
Il faut apprendre à vivre des rituels. Avoir la foi. « Cette enfance hermanita que nous avons ensemble dessinée à gros traits » (p. 60 ). Pour moi, il y a une écriture secrète et lumineuse. Je pense à Bobin : « je découvrais dans le ciel une lumière dont la splendeur, en m’ignorant, me donnait à voir toute la vie avec ses arrières-mondes ».( 4 ) C’est donc dans « Le cruel dérèglement du cosmos » ( deuxième partie du livre ) que le poète s’abandonne complètement. De la détresse personnelle, un mal de vivre parce que c’est la vie qui bat dans la chambre à écho. Le poète s’expose :
« Je te jure que je ne suis pas fou, je te jure que c’est vrai : quand je lance des souhaits vers la lumière, la terre gronde et le vent se lève, une rumeur grave remplit l’espace comme une réplique à mes vœux, à los terremotos dont se souviennent nos corps gorgés de gratitude ». (p.81 )
Il y a une blessure interne au projet poétique. C’est l’idée du non-poème (Gaston Miron ). C’est le poème-vérité qui décrit bien ce magnifique livre de Dawson.
Notes
- Je souligne le très beau livre « Exercices de joie » de Louise Dupré. Noroit 2022.
- Je fais référence à son précédent livre « Désormais ma demeure ». Critique le 1er janvier 2022 sur Lametropole.com.
- Je fais référence à son entrevue à « Il restera toujours la culture » ( Ici Première ) 5 mars 2024.
4. Christian Bobin, « Prisonnier du berceau », Folio 2011.
Né au Chili, Nicholas Dawson détient une maîtrise en création littéraire et complète une thèse de doctorat en études et en pratiques des arts (Université du Québec à Montréal). Il est l’auteur de « La déposition des chemins », recueil de poésie paru aux éditions La Peuplade au printemps 2010, « d’ Animitas », roman paru aux éditions La Mèche en septembre 2017, et de « Désormais, ma demeure », un livre de recherche-création publié chez Triptyque pour lequel il a reçu le Grand Prix du livre de Montréal et le Prix de la diversité Metropolis bleu. Il a aussi co-écrit avec Karine Rosso l’essai « Nous sommes un continent. Correspondance mestiza » aux éditons Triptyque (2021) et a dirigé plusieurs collectifs en création littéraire et dans le milieu universitaire. Son prochain recueil de poésie paraîtra aux éditions du Noroît à l’hiver 2024. En plus d’avoir été membre du comité de rédaction et rédacteur en chef de la revue Mœbius, il a également publié plusieurs textes en revue, en ligne et dans des ouvrages collectifs. Il est depuis 2021 le directeur littéraire des éditions Triptyque. Parallèlement à l’écriture, Nicholas Dawson a une pratique photographique et en art sonore. Sa pratique artistique est stimulée par le désir de réunir les voix, la sienne et celle des autres. La famille, les lieux, la mémoire, les subjectivités, ainsi que les théories queers, les études postcoloniales, les théories de l’affect et les études latino-américaines sont au centre de ses préoccupations artistiques et universitaires. https://www.nicholasdawson.ca/
Nicholas Dawson, Peur pietà, Noroit 2024.