Jean-Sébastien Huot, Une façon de conte. Par Ricardo Langlois
L’auteur, qui écrivait à sa mère dans « Demeures », est rendu dans un autre monde. Le mal-être, la souffrance. Une posture bancale. L’existence dans le désordre et la survie. Le narrateur parle d’une jeune fille qui marche sur un fil de fer. Le corps intime, quelque part dans les limbes.
Griffonné sur le ventre
« C’est dans l’estomac sans supplications qu’elle sommeille. Elle y aiguise ses ongles pour mieux déchirer limbes et tête de porc. Un homme ivre tourne les pages pailletées de la petite fille aux allumettes (1 ) agenouillé devant elle qui serre contre sa poitrine : En avant! En avant! Cheval rose Barbie » (p. 27).
Huot fait référence à « la petite fille aux allumettes » de Gaétan Soucy. Le monde tourmenté de l’enfance, au moment où l’innocence la fuit. Un roman culte où il fait allusion à l’incompréhensible éthique de Spinoza où il dit : « La vraie religion doit être non pas une méditation de la mort, mais une méditation de la vie, pourriture » (2). Dans la poésie de Huot, il y a une fille qui s’est fait violer, « elle écoute New Order et fume le fentanyl. » (p. 46)
Une ontologie noire
Ce recueil de poèmes nous montre une jeunesse prise entre quatre murs. Toujours au bord des rives, elle s’inventera un imaginaire. Elle dort. Elle pense « aux doigts de sa mère qui caressent sa chevelure mouillée en lui lisant le roitelet des frères Grimm. » (p. 47)
Une ontologie noire se dessine. La distorsion, le pic langoureux. Chercher une lumière « Dans la nuit noire par en dedans »… Pour l’auteur, c’est l’errance. Contourner les abîmes. Il a l’âme de la petite fille. Les 14 illustrations (dessins de fleurs ) qui figurent à la fin sont comme une musique innocente. Une transfiguration selon moi. L’abîme, le vide, des termes qui connotent un univers acéré. Les premiers vers du premier poème expriment les traces d’un événement qui s’étend sur une expérience grave pour cette fille qui cherchent « la lumière de cet homme sous haute tension ».
Jean-Sébastien Huot s’adresse au cœur blessé.
Note
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Gaétan Soucy, « La petite fille aux allumettes ». Boréal, Compact 2000.
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Citation. P. 117.
Jean-Sébastien Huot enseigne la littérature depuis 2005 au cégep de Sherbrooke. « Demeures », aux Éditions Mains Libres, est paru en 2022.
Jean-Sébastien Huot, « Une façon de conte », Mains Libres 2023.
Gabrielle Regimbal, La-Z-Boy résurrection.
Une poésie lyrique faite à partir d’un événement. Tous les poèmes conservent les traces d’une expérience vécue.
« À même la chair
Je cherche ma faute
Ce destin sans élégance
Histoire qui ne se termine pas bien
Horloge informe au poignet
J’enfile mon costume
Survivre est un passe-temps
Que je répète un jour à la fois
En bonne élève cancéreuse. » (p. 15 )
Le vécu narratif de l’autrice prend corps dans un texte à suivre et à poursuivre. L’enjeu est en partie lié à une forme de plaidoyer qui se construit comme une urgence. Urgence de vivre, d’aimer. En même temps, cette agonie narrative constitue la matrice d’un récit troublant et parfaitement maîtrisé. Il y a l’appel à la (sur) vie.
« Maman pleure
Des marées de mer
Neige chaude
Côtes saccagées
Maison suspendue
Je sèche inondée. » (p. 59)
Il y a le combat d’un cancer. Il y a aussi le fils, le père (l’amoureux) et la poésie dans un cadre spatio-temporel. L’acte d’écrire est un acte sacré face à une mort injustifiée. Un hymne à la vie. À la vie comme un privilège.