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Nane Couzier ou la contemplation engagée

NANE COUZIER, femme aux cheveux gris portant un collier rose, met en valeur son art de la contemplation engagée. NANE COUZIER, femme aux cheveux gris portant un collier rose, met en valeur son art de la contemplation engagée.

NANE COUZIER ou l’art de la contemplation engagée.  Par Marie Desjardins
Elle est poète. Son tout dernier recueil, Le temps glisse le long des jours, vient de paraître aux éditions David, dans la collection Haïku. Le titre fait plus que donner le ton, il est la synthèse même du vaste sujet que Nane Couzier traite avec la lucidité tranquille de celle qui a compris…
Le sens des choses. Ce qui est, les thèmes fondamentaux de la solitude, de la vieillesse, de la mort, de la beauté de la nature au fil des saisons. Cette description de ce temps qui passe, s’immobilise, s’éternise, disparaît, devient passionnante car c’est bien également d’une sorte d’autographie qu’il s’agit. La vie même de l’auteur – vie intérieure, retour sur les choses, bilan, constatations, observation des petits riens qui sont autant de grands touts.
Tout un parcours que celui de cette Française ayant grandi au Sénégal, étudié en France, émigré au Québec, pour enfin se fixer aux Cèdres, en Montérégie, au sein de la campagne qui l’habite autant qu’elle la maintient vivante, car quel poète est insensible à la magnificence des jours, quels qu’ils soient, et sur lesquels le temps glisse… 
Ce qu’il y a de très intéressant, entre autres, chez Nane Couzier (car il y a son style, sa manière, etc.), c’est son regard sur les choses, empreint d’une impassible lucidité qui n’appartient qu’à elle, humilité, vérité – elle embrasse, accepte ce qui lui est donné de vivre, même ce qui est dur. Ce ne sont pas des pages de révolte, aucun pathos pour décrire la fatalité, mais bien un yoga journalier, joie ou douleur, peu importe, seul dire compte – et dire sans aucun vernis. Ainsi, ce haïku : 
« Ce matin   
plus fripé que moi    
mon reflet »   
Ces mots – des touches – font images, jusqu’aux profondeurs d’une âme. Au fil du temps, l’âme se fatigue, même si elle peut toujours s’émerveiller, et peut-être plus que jamais, mais le parcours n’est plus devant. Elle le précise :
« Les jours rallongent
combien en reste-t-il derrière
le miroir »
« cette obscurité
dans les replis du jour
y consentir »
Nane Couzier, née en 1946, a beaucoup travaillé. Psychologue scolaire, orthopédagogue, andragogue, formée à la méthode Gestalt, elle a publié des albums jeunesse, des recueils de poésie, fait paraître des textes dans de nombreuses revues ici et en France, reçu des prix, des mentions. Cela est sans compter un investissement colossal pour créer un réseau de solidarités pour les écrivains de sa région, au travers de festivals, d’événements culturels, d’ateliers d’écriture, de micros ouverts. En Montérégie, la culture connaît son nom – Nane Couzier a grandement contribué à l’y établir.
La poète autant que la femme a le don de l’adaptation. Nane a composé au mieux, de façon exemplaire, avec l’émigration, en faisant plus que sienne cette région qu’elle a enrichie de toutes ses idées et ses initiatives, artistiques, littéraires, culturelles – forcément sociales. Tout cela, depuis l’Afrique et sa jeunesse, décisives dans la suite des choses et dans sa construction intérieure. C’est si loin, ça n’est jamais parti…
« Transat bleu
sous le marronnier je flotte
entre deux mondes »
Et d’un hiver à l’autre, dans le pays si loin de l’autre, le froid n’a plus aucun mystère pour elle. 
« Verglas 
sur la voiture-iglou
ma pelle exténuée »
Le blizzard et le gel dont on peut se protéger ne sont rien au regard du volcan de l’absence qui, lui, ne laisse que ses cendres et ses traînées de lave brûlante, même un jour d’hiver où le temps n’en finit plus de finir. Ce dernier recueil est empreint de ce désert.
« Neige au réveil
je n’ai pas entendu venir
le silence » 
Nane avait un compagnon, elle ne l’a plus. Les années ont passé, rien n’a changé. L’absence a triomphé.
« Saint-Valentin
la chandelle coule
sur le silence »
« L’air est si doux
si léger – le cœur 
si lourd »
Le lot des êtres qui, partant, laissent les leurs avancer désormais seuls. Nane a accompagné sa mère, pas à pas, tout au long des dernières années, des derniers jours.
« Panne d’ascenseur
marche après marche
elle agrippe la rampe »
Puis il a fallu vider l’appartement. Nane s’y est attelée, s’interrogeant.
« Album de famille
nos générations d’avant
qui en voudra? »
La vie qui s’éteint, comme le monde. Déjà le passé s’installe, dans son absence. Nane est une poète de la conscience, elle ne perd rien de ce qui se perd, et le dénonce :
« J’entends la 30
les derniers boisés abattus
pour du transgénique »
Après De la lumière blanche, Petit jardin d’heures, Commencements, Retour aux cendres roses, pour ne citer que ces florilèges de poèmes, pourrait-on penser que ce dernier recueil est sombre? Non, et c’est ce qui est fascinant avec Nane Couzier, qui a le don des mots et des assemblages – donnant régulièrement de grands crus. 
Dans ce dernier recueil, l’espoir :
« Oh! ce calme
la pluie a nettoyé
jusqu’au silence »
Dans ce dernier recueil, l’humour :
« Jingle Bell
je change de poste
Only youououou »
Et, toujours, chez Nane Couzier, la description des bêtes. Avec elles, les observant, les guettant, les surprenant, les aimant, elle n’est jamais seule.
« Les pics martèlent
un squelette d’orme
je plie du linge »
Elle n’est jamais seule, ni le jour, ni la nuit.
« Le grillon 
ne dort pas non plus
pleine lune »
Les bêtes sont les amies qui accompagnent ses jours tandis qu’elle renouvelle ses questionnements : «Quand commence  » le souvenir  » ou quand commence  » le passé  » ? »
La lecture de ce délicieux recueil nous en donne une très bonne idée. 
Ce que ces haïkus auront fixé entre deux couvertures est un tableau aussi intime que flamboyant d’une certaine campagne du Québec, que Nane a décrite avec la justesse et la très fine sensibilité qui sont sa marque. Cette campagne qui, sous l’outrage des hommes et des idéologies stériles, change, se replie, dépérit, assommée. Mais sous la plume de Nane, par la grâce de la poésie, le temps l’a épargnée. La campagne est devenue un instant d’éternité.  

Auteur de romans, d’essais et de biographies, Marie Desjardins, née à Montréal, vient de faire paraître AMBASSADOR HOTEL, aux éditions du CRAM. Elle a enseigné la littérature à l’Université McGill et publié de nombreux portraits dans des magazines.

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