Valerio Magrelli, Exfance. Par Ricardo Langlois
Nous soulignons cette parution parce qu’il s’agit d’une traduction de l’italien par Francis Catalano, prix de l’Excellence La Métropole 2023. Grâce à lui, nous découvrons un poète majeur. Un livre qui parle de l’enfance. Il écrit en exergue : « C’est principalement à travers les pleurs que l’âme manifeste sa présence » (p. 14).
Francis Catalano
Poèmes aux éclats lyriques, Magrelli a un souffle ludique et personnel.
Sous la protection du Petit Poucet
J’imagine le poète se rappelant ses années de jeunesse (de résistance) avant de devenir un adulte.
« Je suis tellement effrayé et seul au monde
Que je prends les objets, un à un
Pour que quelqu’un me retrouve?
Ou j’allège la charge
Pour ne pas toucher le fond? » (p. 21 )
D’un point de vue sociocritique, il y a la liberté du poète. Je cherche des phases qui m’allument. Lire pour oublier le temps perdu de mon enfance. Essayer de comprendre la parole libre du poète.
Super Mario Nintendo
Je trace une ligne rouge sur un poème bien écrit qui définit la jeunesse d’une certaine époque. Je vous transcris une partie du poème :
« Entre ma souffrance et mon amour
Je choisis Super Mario Nintendo.
Je voudrais vivre à l’intérieur de ce jeu
Vidéo
De façon à disparaître de la vie,
Mais en laissant à mes proches un super
Bonus.
Pas un corps dans l’eau avec les veines
Coupées,
Pas un poids qui se balance attaché au plafond,
Plutôt un cumul d’or et d’énergie,
Luisant dans un halo de lumière » (…) (p. 61 )
J’ai pensé à Emily Dickinson (1 ), pour son structuralisme et son interpellation très personnelle. Magrelli a un lexique particulier, déconcertant au premier abord. Il y a quand même un plaisir sémantique comme des accords de guitare. Il faut lire entre les lignes. Je peux penser à René Char (2 ) ou même à Francis Catalano. C’est moi qui pense ça.
Est-il possible de sortir vivant de la vieillesse?
C’est Denise Desautels qui signe la préface. L’autrice construit ses livres comme « des chambres d’écho »(3 ), elle a bien compris l’univers de Magrelli. Je la cite : « On a beau faire attention, en vérité des fois tout est renversé. Même les bords. Le cœur. Même la joie a saveur de naufrage. » (4 ) Cette métaphore rejoint d’une certaine manière le poète italien dans l’irréparable. Voici un autre poème :
« Chez les enfants, les jouets
Servent de combustible
Pour grandir.
Comme de vieux vêtements
Devenus trop petits. Fusées,
Elles s’élancent vers le haut,
Mais que de matière il faut brûler
Pour qu’elles se détachent du sol
Et quittent la terre de l’enfance. » (p. 68 )
La forêt verbale
Je lis pour mieux discerner les différentes voix de poètes. Quel chemin, quelles couleurs, effleurements, secrets. C’est un livre d’un poète nostalgique en quête d’un sourire, d’une certaine intimité par rapport à « sa forêt verbale » ( 5 ). Je cite Francis Catalano qui a écrit une belle préface, très détaillée sur l’interprétation de son œuvre. Comme Emily Dickinson, Magrelli n’est d’aucune époque. Le temps qui passe, la vie antérieure, tout cela représente un corpus de temps rêvé.
Je lis Valerio Magrelli pour trouver un angle d’équilibre dans ce monde où tout bouge trop vite. Je lis avant l’aube. Je lis dans la joie secrète d’un poète italien.
Notes
1. J’ai pensé à Emily Dickinson dans « Ses oiseaux perdus », 1882-1886.
2. René Char, « Fureur et Mystère », le poème Ne s’entend pas, Poésie Gallimard, 2016.
3. Denise Desautels, « L’angle noir de la joie ». NRF, Gallimard 2022. Je cite cette phrase de Louise Dupré dans la préface. P. 17.
4. Idem, p.167.
5. Dans « Sa forêt verbale », p. 130. Postface de Francis Catalano.