Jean-Paul Daoust, Les miroirs de l’ombre

Une femme plus âgée portant une veste à imprimé léopard et une écharpe rose avec un effet ombré. Une femme plus âgée portant une veste à imprimé léopard et une écharpe rose avec un effet ombré.
Jean-Paul Daoust, Les miroirs de l’ombre.  Par Ricardo Langlois
On est dans la nuit du cœur. Jean-Paul Daoust raconte son passé. La mort tragique de son père, la mère inconsolable, l’enfance volée. Le spleen du poète. Un junkie dans les cercles de l’enfer. Je voudrais sortir mon ancien professeur et ami des ténèbres. Je voudrais le sortir des limbes.
Very sad to be gay
J’évolue dans un monde à la Kafka.
Tes yeux en écho a ta voix d’un bleu océan
En furie ou dérive le radeau de la Méduse.
Belle arche de Noé. Je deviens sentimental
Lorsqu’il pleut. Il pleut souvent.
Quand ils imaginent cheap sexuellement
Les gens pensent aux femmes. Ou aux tapettes.
L’écriture n’a pas à se masturber.
Very sad to be gay.  (p. 25 )
Le corps souffre dans l’écriture. Construire sur les ruines d’un passé. Une aberration architecturale. On aura beau construire des empires, l’horizon et les vertiges remontent. Feu des jours anciens.
La douleur du poète
Il y a que Jean-Paul Daoust dit vrai. Par-delà les rires et les provocations, les mises en scène et l’apparente frivolité, il y a chez lui une franchise peu commune jusque dans l’extrême de la douleur (1).  Ce livre transcende une enfance difficile. Déjà écrivain dans l’âme, on évoque une sorte de voyage intérieur. Cette souffrance dérive du côté des paradis artificiels :
« Je consomme des paradis artificiels. Des images sur une ligne de cocaïne. Les pilules suffisent à peine. Apprendre à traiter toute drogue avec respect. Malgré l’accoutumance. Certains rêves ne mentent pas. » (p. 30).  « Aucune censure. On efface rien d’une vie pathétique. D’un bateau ivre à la dérive. Espérer un rivage. Ne jamais (surtout) tourner en rond dans sa culpabilité. » (p. 40).  « Tu évoqueras l’irréparable (nommé le VIH). Il n’y a qu’une page blanche qui ironiquement devient une manière d’affronter la douleur de vivre. Une thérapie.  Un abandon. Les codes de survie. Il dévoile tout. Il fut prisonnier d’une toile de pédophiles. » (p. 60)
Le vitrail brisé
Après une chute dans les escaliers, ou tu étais paralysé, tu as écrit le magnifique recueil Le vitrail brisé. (2)  J’ai lu toute la souffrance qu’un être humain peut endurer au-delà de l’épreuve physique et psychologique. L’insurmontable impression d’impuissance morale. Une étrange impulsion d’être pris au piège du vide seul, du corps félin brisé.
La douleur ce savant diabolique
Sait nuancer et pousser au paroxysme une teinte
En un bleu de Chartres
Car le son des os fracturés l’exulte. (p. 43)
Il y a un effet de limpidité, une transparence absolue. L’esprit qui anime le poète Daoust, le Dandy mélancolique qui exige un esprit de compassion. C’était mon professeur, un confident, celui qui rassure. Son lyrisme étonne : Daoust, le grand poète de l’amour. L’amour partagé, refusé, à la recherche d’un ange consolateur.
Je prends ce fragment de la dernière page des Miroirs de l’ombre : « Je rôde dans le grenier de mon cerveau. De verre en verre, je me construis un pont de soie sauvage. L’absurde a encore réussi à faire des siennes. » (p. 86 ) J’attrape ses mots en plein vol. Je pense à Rilke : « Mon cœur délaissé et le tien confus restent suspendus dans les nuages de ta colère pleins de fureur. » (3)
Un testament
Si Les miroirs de l’ombre est un livre sombre, il faut s’attarder à cette colère créatrice, à cette expérience de vie.  À l’expérience d’intimes brasiers… Le poète extravagant traverse les miroirs qui se brisent sur son passage. L’opéra de l’enfer qui est omniprésent. J’aime Jean-Paul Daoust malgré ses blessures excessives. Il a été l’un des premiers à m’encourager, dès mon premier livre. J’aime le poète. J’aime l’homme profondément.

Notes
Auteur prolifique, Jean-Paul Daoust a publié une cinquantaine de recueils de poésie et deux romans depuis 1976. Il a collaboré à de nombreuses revues de poésie et a lui-même dirigé la revue Estuaire de 1993 à 2003. Chroniqueur de poésie pour Télé-Québec puis Radio-Canada jusqu’en 2002, il est membre de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois.

Dandy crépusculaire, à l’écriture baroque et vibrante mêlant volontiers français et anglais, son œuvre tour à tour crue et onirique s’articule autour de la mélancolie, de la modernité et de l’homosexualité masculine.

Trois poèmes majeurs jalonnent sa longue carrière. En 1990, il est lauréat du prix littéraire du Gouverneur général du Canada pour Les cendres bleues, œuvre intime qui traite avec force, et non sans acuité, d’abus sexuels commis sur un jeune enfant. L’Amérique, poème en cinémascope, publié en 1993, représente le versant plus contestataire et engagé de l’œuvre du poète. En 2009, il est récipiendaire du Grand Prix Quebecor du Festival international de la poésie de Trois-Rivières pour Le Vitrail brisé, suite poétique centrée sur le combat entre le corps et la douleur qui l’assiège à la suite d’un accident.
Il a été poète en résidence a Radio-Canada, à l’émission Plus on est de fous, plus on lit! De 2011 à 2022.
1. Jean-Paul Daoust, Les garçons magiques, préface de Gérald Gaudet. Les éditions de La Grenouillère, 2022.
2. Jean-Paul Daoust, Le vitrail brisé, Écrits des Forges, 2009.
3. Rainer Maria Rilke, Nouveaux poèmes. Éditions du Seuil, 2008.
Jean-Paul Daoust, Les miroirs de l’ombre. Hashtag. 2023.

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