La spiritualité. (Texte no. 4)

L’ouverture à la vie spirituelle a quelque chose en lien avec la simplicité de l’enfant, mais d’un enfant qui a passé victorieusement l’épreuve de la liberté. Selon Maxime le Confesseur (7e siècle), la volonté humaine est appelée à suivre librement la volonté divine sans être ni absorbée ni diminuée par elle. Selon lui, la vraie liberté est un élan passionnel vers le bien, dans l’unité de la connaissance et de l’amour, qui produit ses propres raisons selon une logique du cœur.
Une colombe blanche spirituelle s’élève gracieusement dans le ciel au milieu de nuages duveteux. Une colombe blanche spirituelle s’élève gracieusement dans le ciel au milieu de nuages duveteux.

La spiritualité. (Texte no. 4). Par Robert Clavet, PhD

L’ouverture à la vie spirituelle a quelque chose en lien avec la simplicité de l’enfant, mais d’un enfant qui a passé victorieusement l’épreuve de la liberté. Selon Maxime le Confesseur (7e siècle), la volonté humaine est appelée à suivre librement la volonté divine sans être ni absorbée ni diminuée par elle. Selon lui, la vraie liberté est un élan passionnel vers le bien, dans l’unité de la connaissance et de l’amour, qui produit ses propres raisons selon une logique du cœur. Par comparaison, le libre arbitre est une liberté indigente où l’être humain, tourmenté par des désirs contradictoires qui le rendent hésitant, délibère sur les possibles en vue de choisir le moindre mal. Selon la symbolique chrétienne (où Jésus-Christ est à la fois divin et humain), l’être humain, dans une seule personne intégrale, progresse spirituellement grâce aux énergies divines, mais en même temps dans une démarche libre (dans un double mouvement descendant et ascendant). En s’appuyant sur saint Luc et saint Marc, Jean Damascène montre que la perfection de Jésus passe par une croissance, autrement dit celui-ci a vécu sa déification d’une façon progressive. Pour les êtres humains en général, la déification ne signifie pas une divinisation, mais une participation de plus en plus grande à la vie divine. Jésus-Christ a rendu sa perfection humaine possible non seulement de sa seule union avec le Verbe mais aussi de l’Esprit Saint. L’Orient chrétien magnifie l’Esprit, considéré comme le feu qui transfigure l’humanité de Jésus-Christ et « christifie » l’humanité des êtres humains, dans un processus de déification. 

De son côté, l’Occident chrétien insiste davantage sur la relation amoureuse du Père et du Fils, et accorde moins d’importance au Saint-Esprit. Au détriment de l’Unitrinité des trois Personnes, l’Église catholique ajoute même que le Saint-Esprit ne procède pas du Père de la même manière que le Fils mais du Père et du Fils ensemble, provoquant ainsi un effacement en dignité du Saint-Esprit par rapport au Fils. Ceci a des conséquences sur la conception de l’être humain et sur son vécu spirituel, car cette diminution en importance de l’Esprit rend la liberté créatrice suspecte. En mettant l’accent sur l’essence unifiante du Père et du Fils au détriment de la diversité des Personnes, Dieu apparaît davantage comme une essence qui domine les Personnes et le mystère de la « toute-présence » dans chaque Personne n’est plus exprimé. De plus, dans le christianisme occidental, au détriment de la participation et de la déification, un substantialisme d’inspiration aristotélicienne (doctrine qui insiste sur l’existence d’une essence qui existe en soi) établit un rapport causal associé à une logique froide et contraignante. Il s’ensuit que les énergies divines (la grâce) deviennent un effet administrable dans une sorte de sacramentalisme mécanisé. De plus, le rabaissement du Saint-Esprit par rapport au Fils fixe l’attention sur l’Incarnation au détriment de l’Esprit, qui fait alors figure de simple légat de Jésus-Christ. L’aspect christologique ainsi que les dimensions hiérarchique et sacramentelle de l’Église se trouvent ainsi majorés au détriment de son aspect pneumatologique (relatif à l’Esprit Saint), et l’institution avec son besoin de système contraignant l’emportent sur la spiritualité créatrice et la déification. 

Au tournant du 1er millénaire, dans l’Orient chrétien, saint Syméon le Nouveau Théologien associe le salut et la déification : le feu divin (le Saint-Esprit) unit, par participation, le Créateur et la créature. Cela signifie que la nature humaine est appelée à transcender sa nature créée pour communier existentiellement au Dieu personnel qui transcende aussi, par une mystérieuse descente, sa nature incréée pour se donner. Dieu se fait mendiant de l’amour, et le divin rencontre l’humain. Pour saint Syméon, la vie dans l’Esprit et « Christ en nous » est une seule et même réalité. Il s’agit donc, dans une perspective de transfiguration et de déification, d’une participation de l’être intégral, et non pas d’une adhésion juridique et morale. L’accent n’est pas mis sur Dieu considéré comme une Essence, mais sur la volonté créatrice de Dieu rendant possible la participation à ses énergies. Entre le 11e et le 13e siècle, contrairement à l’Orient chrétien où la beauté poétique est une invitation à remonter à l’expérientiel sans rechercher l’assurance d’un savoir contraignant, l’Occident chrétien connaît une forte poussée d’un rationalisme teinté d’une ontologie substantialiste. La théologie occidentale se caractérise de plus en plus par une approche scientiforme axée sur l’efficacité, en cherchant notamment à appuyer les vérités révélées sur des démonstrations inspirées de la spéculation aristotélicienne. Au contraire, plutôt que de faire procéder l’Esprit d’un principe Père/Fils, la théologie suprarationelle des Pères orientaux pose la dynamique de trois termes dans l’Unitrinité pour exprimer Dieu vivant au-delà de toute opposition, sans résorption des Personnes dans une unité indifférenciée, chacune posant l’autre. 

Au 13e siècle, les Croisades de 1204 provoquent une prise de conscience chez les Orthodoxes. Ceux-ci se rendent compte comme jamais à quel point la diminution en importance du Saint-Esprit entraîne des conséquences à propos de la liberté des consciences personnelles. En Occident, Saint Bonaventure et Thomas d’Aquin proclament autoritairement : « (…) l’Esprit-Saint procède éternellement du Père et du Fils (ensemble), non comme de deux principes, mais comme d’un seul principe, non par deux spirations, mais par une unique spiration (…). Nous condamnons et réprouvons tous ceux qui prétendraient nier que l’Esprit-Saint procède éternellement du Père et du Fils (ensemble) ». Cette interprétation de la Trinité s’appelle le filioque. Selon le christianisme oriental, le Saint-Esprit manifeste le Père par le Fils, mais le Saint-Esprit tient son existence hypostatique du Père seul, tout comme le Fils. L’ajout du filioque dans la théologie de la Trinité va entraîner le schisme entre l’Orient et l’Occident chrétiens. C’est ce qui a causé la perte dans la culture occidentale de l’idée de l’équilibre du divin et de l’humain avec ses conséquences sur la conception de l’être humain et de son activité créatrice. Le 21e siècle est appelé à un nouvel essor spirituel en redécouvrant le Visage de l’être humain comme étant indissociable du Visage de Dieu et en célébrant la Beauté de la création. Il est vrai que l’être humain fait souvent preuve de cruauté, mais cette citation de Emmanuel Levinas est aussi vraie : « Surgie des ressources infinies du moi singulier, la bonté, répondant sans raison ni réserve à l’appel du visage, sait trouver des sentiers vers [celui] qui souffre ». La liberté est de première importance pour favoriser l’activité créatrice dans tous les domaines; c’est l’une des raisons pour lesquelles il faut préserver la démocratie. L’évolution même du cosmos semble inviter à contribuer à l’épanouissement de la vie. En effet, dans un huitième jour de la création, la pulsion créatrice humaine respectueuse de la beauté du Monde et elle-même source de beauté, n’est-elle pas en continuité avec ce processus cosmique qui durant plusieurs milliards d’années a transformé le chaos initial en structures organisées et en espèces vivantes. 

Au 14e siècle, Nicolas Cabasilas se dit bouleversé par le feu de l’amour divin qui aimante l’amour humain. Sa pensée revêt un caractère éminemment existentiel. L’homme de douleur devient l’homme de désir qui trouve, à l’ombre de sa propre croix, une joie sans pareille. Par le symbole de Jésus-Christ, Dieu devient mendiant et meurt afin que l’être humain vive en Lui. Dans un processus de déification, la connaissance de soi conduit à un retournement du cœur vers son propre centre, où le divin et l’humain se rencontrent. Dans cette expérience, l’idée selon laquelle, étant donné Sa toute-puissance, Dieu aurait créé le mal, apparaît comme une vaine ratiocination, car Dieu est en nous comme nous sommes en Lui. « L’Aimant » attend une réponse libre de l’aimé. Saint Grégoire Palamas insiste sur le caractère ontologique (qui existe essentiellement, indépendamment de toute expérience) de la relation entre Dieu et l’être humain. Par participation, celui-ci devient source de lumière : la lumière incréée de Dieu, qui est l’objet limite de la contemplation, pénètre sa propre perception. Le réalisme ontologique de Palamas tient à la reconnaissance à la fois de l’essence radicalement transcendante de la Trinité comme Unité, et de la présence totale de Dieu à l’être humain dans ses énergies immanentes. Répétons-le (voir le texte 2), dans le symbole de Jésus-Christ, la nature à la fois humaine et divine de celui-ci signifie que la nature de l’être humain, qui est déiforme, peut être hypostasiée dans l’Hypostase du Verbe et participer réellement à la vie divine. 

Dans l’esprit des Pères orientaux, les énergies divines sont capables de transfigurer le corps, la nature et la culture car, selon la grâce, l’être humain est un microcosme et un microtheos. Au fond de nos cœurs réside le but du projet divin, qui est la déification. À l’image de Dieu, l’être humain est créateur, évidemment pas en ce sens qu’il peut faire surgir des choses sans utiliser de matériaux, mais qu’il a reçu le « don de faire jaillir les valeurs impérissables de la matière de ce monde » (Paul Evdokimov, « Le Christ dans la pensée russe », page 32) Selon Evdokimov, la pensée des Pères orientaux trace une grandiose philosophie dans laquelle la création humaine se met au service du Royaume de Dieu afin qu’advienne une Terre transfigurée. Contrairement aux utopies, cette transfiguration ne s’opère pas par une transformation de l’objet, mais par celle du regard du sujet. La spiritualité suppose une rencontre de la Sagesse divine (la Sophia) et de la sagesse humaine, afin de réaliser ce que nous sommes vraiment. Mais il faut assumer la condition humaine avec patience et espérance, car « qui fait l’ange fait la bête » (Blaise Pascal). La spiritualité ne passe pas par un moralisme castrateur : le grand défi est d’apprendre à aimer vraiment, y compris nous-mêmes. Par l’énergie divino-humaine, malgré les pouvoirs oppressifs et les lourdeurs de la nécessité, nous pouvons tirer des forces pour assumer la liberté créatrice. 

À une prochaine fois pour le texte no. 5. 

Texte 1 : La spiritualité. (Texte no. 1 )

Texte 2 : La spiritualité. (Texte no. 2 ) 

Texte 3 : La spiritualité. (Texte no. 3 )

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Le Pois PenchéPoésie Trois-Rivière

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.