La spiritualité. (Texte no. 6) 

La spiritualité. (Texte no. 6). Par Robert Clavet, PhD  En des instants bénis, nous pouvons avoir l’impression d’une mystérieuse présence sur fond d’éternité. L’ouverture au mystère divin résulte d’un don inhérent au Soi (voir : texte 5). Extérieurement, il y a certes des reflets de Dieu dans la nature, mais ceux-ci se révèlent à une conscience et une intériorité. Mère d’activités autocréatrices, la spiritualité, au défi du sentiment de culpabilité, engage dans une quête audacieuse. Conformément à l’étymologie du mot « philosophie », le philosophe spirituel est un amoureux de la sagesse, mais d’une sagesse imprégnée d’un désir de vie éternelle. Plotin disait que c’est le désir qui engendre la pensée. En tension vers l’Unitotalité, la pensée spirituelle traduit un désir et un amour ne pouvant être contenus dans la finitude du monde. Elle n’est pas tournée vers le futur : elle a plutôt une portée eschatologique, au sens d’une incursion de l’éternité dans le temps. Qui désire quelque chose n’est pas en possession complète de l’objet de ce désir ; c’est pourquoi il éprouve un manque, une privation ou une absence par rapport à une plénitude d’être qu’il intuitionne. Le désir est plus qu’une simple pulsion : il est une force qui pousse à explorer, à créer et à se réaliser.

La spiritualité. (Texte no. 6). Par Robert Clavet, PhD 

En des instants bénis, nous pouvons avoir l’impression d’une mystérieuse présence sur fond d’éternité. L’ouverture au mystère divin résulte d’un don inhérent au Soi (voir : texte 5). Extérieurement, il y a certes des reflets de Dieu dans la nature, mais ceux-ci se révèlent à une conscience et une intériorité. Mère d’activités autocréatrices, la spiritualité, au défi du sentiment de culpabilité, engage dans une quête audacieuse. Conformément à l’étymologie du mot « philosophie », le philosophe spirituel est un amoureux de la sagesse, mais d’une sagesse imprégnée d’un désir de vie éternelle. Plotin disait que c’est le désir qui engendre la pensée. En tension vers l’Unitotalité, la pensée spirituelle traduit un désir et un amour ne pouvant être contenus dans la finitude du monde. Elle n’est pas tournée vers le futur : elle a plutôt une portée eschatologique, au sens d’une incursion de l’éternité dans le temps. Qui désire quelque chose n’est pas en possession complète de l’objet de ce désir ; c’est pourquoi il éprouve un manque, une privation ou une absence par rapport à une plénitude d’être qu’il intuitionne. Le désir est plus qu’une simple pulsion : il est une force qui pousse à explorer, à créer et à se réaliser. Ainsi, « l’amoureux de la sagesse » n’est pas sage, mais désire la sagesse. Plus qu’une quête intellectuelle, celle-ci est indissociable d’une sorte de lumière qui, à l’occasion d’une marche sur un sentier abrupt, guide le philosophe vers une compréhension plus profonde de lui-même et de la réalité. Plongé dans l’existence, l’être spirituel assume sa condition séparée entre le monde phénoménal et la réalité nouménale (voir : texte 5). Au 15e siècle, Nicolas de Cues a inauguré la nouvelle époque spirituelle. Au défi des axiomes d’identité et de contradiction comme assises de la philosophie (dès lors inféodée à l’esprit de système : un esprit d’exclusion qui engendre l’esprit d’inquisition), toute la pensée du Cusain repose sur le principe de la coïncidence des opposés, qui rejoint l’idée très actuelle d’une unité englobant la multiplicité. Tel est le point de départ très conscient des attaques de ce penseur allemand contre l’aristotélisme, dont Thomas d’Aquin et le catholicisme se sont largement inspirés. Rejetant les limitations d’une démarche analytique réductrice, le philosophe spirituel n’hésite pas à utiliser paradoxes et symboles, ceux-ci étant des choses concrètes désignant des réalités existentiellement expérimentables, mais non conceptualisables. C’est pourquoi l’expérience spirituelle n’est communicable que dans la mesure d’une communauté d’expérience entre le communicateur et le récepteur. 

Dans l’argumentation philosophique, c’est certes une bonne chose de s’assurer que les jugements de fait sont objectivement vrais et les jugements de valeur acceptables et dotés d’une puissance de conviction. Mais, en distinguant science et philosophie, la philosophie spirituelle repousse l’exclusivité d’une logique causale scientiforme associée au principe de non-contradiction, car elle tend vers l’unité. Elle s’attache avant tout à la profondeur existentielle de ce qui est exprimé. « La quête d’intelligence » qu’elle recherche ne se traduit pas, comme dans le thomisme, à un attachement à la nécessité causale. En philosophie spirituelle, l’effort d’expression comporte un élément rationnel d’organisation, mais dans la conscience de l’éloignement objectivant afférent à cet exercice. Comment expliquer le phénomène du thomisme conservateur des 19e et 20e siècles en France, en Belgique et au Canada ? Incidemment, celui-ci fut partiellement et brièvement combattu par « Vatican II » qui, imprégné par la tradition johannique, a retrouvé l’idée du culte « en esprit et en vérité », jusqu’à ce qu’un moralisme légaliste reprenne à nouveau le dessus. La philosophie spirituelle assume jusqu’au bout une Vérité, Voie et Vie, symbole d’une Réalité vécue par le sujet intégral. Refusant d’être assujettie à un déterminisme méthodologique, elle est une discipline « expressionniste » qui se rapporte aux expériences fondamentales. Dans le thomisme, s’entremêlent le savoir objectif contraignant et une connaissance spirituelle à être éprouvée dans une sorte de liberté extrinsèque, c’est-à-dire une liberté se réduisant au libre arbitre (qui ne fait appel qu’à l’exercice d’une raison autonomiste) et non comme pouvoir positif de création associé à l’intégralité humaine, dans une démarche en tension vers une Vérité non objectivable. La connaissance unifiante chez l’être humain intégral suppose une raison qui ne se laisse pas enfermer dans un ensemble d’idées provenant d’un esprit de système visant entre autres à conditionner les comportements. La prétention au savoir en matière de spiritualité, comme le prétendu caractère objectif d’une Révélation historique, façonne des idéologies qui favorisent l’autoritarisme clérical et pouvant conduire au fanatisme. 

Une philosophie devient spirituelle en rendant compte de lumières suprarationelles, dont l’accueil suppose la libération préalable d’un enfermement par la raison instrumentale. Les thomistes se sont attachés à la distinction formelle entre une sagesse naturelle dépendant des lumières d’une raison objectivante recherchant des causes, et une sagesse surnaturelle dépendant de la foi. Cette dichotomie a contribué au renforcement du pouvoir clérical au détriment d’une spiritualité intériorisée. La philosophie spirituelle est imprégnée de la Tradition, mais « en esprit et en vérité », dans une continuité créatrice qui intègre les nouveaux éléments de la culture. Dans le présent contexte, l’expression « en esprit et en vérité » signifie que les textes sacrés contribuent à une démarche d’éveil, dans une dynamique d’ouverture au mystère divin. En cherchant à harmoniser une philosophie scientiforme d’inspiration aristotélicienne avec la Révélation, la pensée thomiste admet une sorte de cassure de l’intégralité humaine. Chez plusieurs théologiens catholiques, les Écritures ont fini par être présentées comme une chose complexe à connaître objectivement, plutôt que d’être considérées comme une diffusion d’événements spirituels. Le scientisme n’est pas la science. Il est une idéologie selon laquelle il faut appliquer dans tous les domaines de la pensée un déterminisme méthodologique comparable à celui qui a fait le succès des sciences. Une des gloires de la nouvelle époque spirituelle est d’avoir pris conscience des possibilités et des limites de la raison. Au sens actuel du terme, la science a pour objet de comprendre et d’expliquer le monde et ses phénomènes, ainsi que d’en tirer des prévisions et des applications fonctionnelles. Le discours proprement scientifique ne se prononce pas sur les questions fondamentales relatives au sens de la vie et aux valeurs. Mais comment dépasser l’ordre des phénomènes, comment surpasser la sphère des connaissances objectives vérifiables ? La réponse se trouve à la fois dans les traditions kierkegaardienne et socratique, c’est-à-dire en choisissant « l’existence authentique » et le « connais-toi toi-même » (au sens du « souvenir » (l’anamnèse) de ce que nous sommes vraiment). En d’autres termes, en devenant un aventurier de l’esprit, ouvert à tout ce qui se trouve en notre intériorité. Avec la connaissance de ses possibilités et limites, la raison peut s’ouvrir à plus grand qu’elle, dans la pleine conscience du mode de cette ouverture. En philosophie spirituelle, l’activité rationnelle (dont le caractère analytique et seulement immanent ne fait appel qu’à la faculté discursive) n’a qu’un rôle instrumental. La lumière de la connaissance spirituelle n’émane pas d’une raison autonomiste. Elle est le Logos, le Verbe, ce feu d’origine divine capable d’embraser l’esprit humain en ne lui enlevant rien, par participation unifiante dans un double mouvement d’immanence et de transcendance. 

Chez beaucoup de peuples, les rayons du soleil, source de lumière, de chaleur et de vie, symbolisent les influences célestes. Incarnations des forces créatrices, Aton, Osiris, Baal, Mithra, Hélios, Apollon sont des dieux solaires. Symbole de la divinité, le soleil peut prendre figure de fils du Dieu suprême. Par son caractère cyclique, il apparaît aussi comme symbole de résurrection et d’immortalité. Jésus-Christ (le Verbe incarné) est aussi considéré comme Verbe solaire, Soleil spirituel et Soleil de vérité (ce qui évoque la transfiguration). Insistons-y, la philosophie spirituelle comporte des éléments supra-rationnels pouvant être exprimés grâce à des paradoxes et des symboles. Saint Paul disait en substance que l’être humain est dans la communion et la vie en même temps que dans la séparation et la mort. La spiritualité outrepasse le dualisme esprit/matière et s’actualise dans une activité créatrice où le temps et l’éternité se rencontrent. La matière peut être transfigurée. Pensons à la puissance d’évocation du regard d’une personne aimée, devenu tout autre chose que deux globes oculaires. Dans « L’amoureuse initiation », à propos de ces amours qui ne sont au fond que la révélation d’une puissance d’amour tendue vers l’infini, Milosz conclut : « L’objet d’un amour, et singulièrement d’un amour très profond, n’en peut jamais être la fin. Dans la grande adoration, la créature n’est point autre chose qu’un médium. L’amour véritable a faim de réalité, or, il n’y a de réalité qu’en Dieu. » Pour la philosophie spirituelle, la connaissance existentielle est valeur absolue qui se découvre comme expérience de la beauté la plus haute (malgré la misère de nos insuffisances et de nos excès, pourvu qu’on ait bonne volonté). La Révélation soi-disant objective n’est qu’une objectivation de la Révélation. Elle n’invite pas à une croyance passive en un ensemble de mots, elle agit plutôt comme un feu venant embraser l’intelligence et ouvrir au mystère. Par une sorte d’ascèse de l’intelligence, le philosophe spirituel prépare la coupe dans laquelle peut se déverser un vin nouveau. Socrate, que la pythie de Delphes considérait comme le plus sage des hommes, cherchait avant tout à faire prendre conscience des limites du savoir au nom d’une connaissance supérieure. Il s’agit d’une connaissance existentielle que le langage conceptuel ne peut contenir puisqu’elle tend vers l’unité. La philosophie spirituelle est une philosophie créatrice qui ne recherche pas un savoir analytique tendant à la soumission aux données de ce monde. Il y a des époques et des lieux où de prétendus savoirs religieux et philosophiques sont source de culpabilisation et d’asservissement. 

À une prochaine fois pour le texte no. 7

Texte 1 : La spiritualité. (Texte no. 1 )

Texte 2 : La spiritualité. (Texte no. 2 ) 

Texte 3 : La spiritualité. (Texte no. 3 )

Texte 4 : La spiritualité. (Texte no. 4)

Texte 5 : La spiritualité. (Texte no. 5)

Photo principale : Aton : Dieu unique égyptien

Le Pois PenchéPoésie Trois-Rivière

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.