Poésie au pays de Quimperlé

Poésie et excursions au pays de Quimperlé. Par Nancy R Lange
De gauche à droite : Grégory Rateau, poète français qui vit à Bucarest, éditeur de LePetitJournal.com, Jean Azarel, lauréat 2024 du Prix Xavier Graal 2024 décret par le Festival Sémaphore et Nancy R Lange, poète en résidence 2024 à la Maison de poésie de Quimperlé et poète invitée à Sémaphore, festival de la Parole. De gauche à droite : Grégory Rateau, poète français qui vit à Bucarest, éditeur de LePetitJournal.com, Jean Azarel, lauréat 2024 du Prix Xavier Graal 2024 décret par le Festival Sémaphore et Nancy R Lange, poète en résidence 2024 à la Maison de poésie de Quimperlé et poète invitée à Sémaphore, festival de la Parole.
De gauche à droite : Grégory Rateau, poète français qui vit à Bucarest, éditeur de LePetitJournal.com, Jean Azarel, lauréat 2024 du Prix Xavier Graal 2024 décret par le Festival Sémaphore et Nancy R Lange, poète en résidence 2024 à la Maison de poésie de Quimperlé et poète invitée à Sémaphore, festival de la Parole.

Poésie et excursions au pays de Quimperlé. Par Nancy R Lange

Être poète en résidence à la Maison de poésie de Quimperlé et participer au Festival de la Parole Poétique Sémaphore, en différents endroits du pays de Quimperlé, en Bretagne, quel privilège!  J’ai devant moi une retraite de deux semaines dédiées à l’écriture et à un kof-ha-kof (corps à corps) intense avec la culture bretonne, orchestré par Michèle Lescouat, hôtesse incomparable de la Maison d’Hyppolite où logent les poètes en résidence, et Bruno Geneste et Isabelle Moing, maîtres d’œuvre du festival qu’ils ont créé il y a dix-neuf ans.

On pourrait passer des jours à découvrir, sur les murs littéralement couverts d’œuvres d’art du gîte-galerie de Michèle, le travail des artistes dont la plupart sont bretons. Sa maison d’hôte est sise sur un quai qui borde la Laïta, une rivière fluviale qu’on appelle ici « ria » et qui prend naissance sous ma fenêtre, là où l’Ellé conflue avec l’Isole.  Il n’y donc pas de circulation de voitures. Ma fenêtre offre une vue imprenable sur le cours tumultueux de la Laïta et sur le coeur de Quimperlé où domine le clocher d’église et un somptueux magnolia en fleurs, dont le rose me ravit en cette fin de février alors que tout est encore couvert de neige chez nous. 

La vieille ville a beaucoup de caractère avec ses rues pavées sinueuses qui montent à pic ou serpentent en basse ville dans un labyrinthe de venelles. On y trouve la belle Maison des Archers et le Pont fleuri au seuil duquel un coquillage serti entre les pavés indique que nous sommes sur le chemin de Compostelle. La nuit, des éclairages bleus créés par l’artiste Yann Kersalé longent les rives des deux rivières affluentes, sur le « chemin bleu » et donnent une atmosphère magique aux promenades. Le jour on peut remonter le cours de la rivière et se retrouver rapidement dans un décor fort bucolique. Les  fées ne sont pas loin.

Après avoir traversé la forêt de Carnoet, la Laïta, qui s’est transformée en delta sablonneux, se jette dans l’Atlantique entre Guidel et Le Pouldu, un village méconnu qu’ont fréquenté jadis le peintre Paul Gauguin et ses comparses et où on retrouve l’été un musée Gauguin, des galeries, et une école de voile.  En tout temps de l’année, le Sentier des Douaniers, offre, le long de la côte magnifique célébrée par les peintres, des points de vue spectaculaires encadrés par des formations rocheuses couvertes de lichens ocre. À ce temps-ci de l’année, venteux et souvent pluvieux, la mer y déroule sur des plages sablonneuses de gros rouleaux. J’ai eu l’occasion, à l’invitation du directeur du festival, Bruno Geneste, de me baigner, (brièvement!) dans une eau avoisinant les 8 degrés. Expérience inoubliable! 

L’édition 2024 du festival essaime ses activités entre Moëlan-sur-Mer, Quimperlé, Mellac et Clohars-Carnoet.  Chaque année, on y remet le Prix Xavier Graal. Crée par Bruno Geneste, ce prix récompense la qualité d’une œuvre poétique et l’engagement à la promotion et à la mise en valeur de la poésie. Le jury qui choisit le ou la poète lauréate est composé de 5 personnes et le prix est décerné en alternance à une femme et à un homme, une politique paritaire dont on pourrait prendre exemple pour bien d’autres prix littéraires. 

Cette année, le récipiendaire est l’écrivain Jean Azarel, qui, après avoir pris sa retraite, s’est installé à Plozevet, dans le Finistère, pour y suivre sa compagne Anne, d’origine bretonne. L’auteur a une vingtaine de livres à son actif, essentiellement de la poésie, des récits et des biographies, dont celle intitulée  « Vous direz que je suis tombé » qui fut finaliste pour le Goncourt du printemps 2023.

Jean Azarel, s’implique dans l’organisation de deux festivals de poésie en Bretagne: Sémaphore La parole poétique qui se déroule en mars et Baie des plumes qui se déroule en août à Douardenez.  Il écrit aussi des chroniques de poésie dans diverses revues, dont la revue Dissonance.

« La poésie, dit-il, est une manière d’être au monde, c’est-à-dire de mobiliser les sens, la réflexion et l’esprit. Comme critique et comme lecteur, ce qui m’interpelle c’est la façon dont un poète va transmettre son vécu du monde. Recevoir le Prix Xavier Graal est pour moi un honneur.  D’abord parce que je suis un lecteur de cet auteur, qui représente une version personnelle d’une Bretagne résistante qui n’accepte pas ce que les pouvoirs en place veulent faire, notamment au niveau de l’écologie et des droits sociaux.  Je suis aussi très heureux de recevoir ce prix parce que mon ami Alain Jégou a été un des premiers à le recevoir. »

Depuis une dizaine d’années, le festival rend hommage à des poètes qui sont ou ont aussi été des artistes musiciens iconiques, des États-Unis, de France, ou du Québec, ce qui leur a permis de transmettre leur poésie avec une portée importante.  Plusieurs poètes masculins ont été ainsi honorés, Jim Morisson, Bob Dylan, Leonard Cohen, Ferré, Brel, ainsi que les Alllen Ginsberg, Jack Kerouac et autres poètes de la Beat generation des États-Unis.  Cette année, pour la première fois, aux côtés de Rimbaud, on célèbre une figure iconique féminine, la formidable Patti Smith. 

Premier jour du festival. La remise du prix est suivie par une performance remarquable du prolifique poète, éditeur, directeur artistique et concepteur du festival, Bruno Geneste. L’artiste de scène est habité par le même souffle qui a mené l’auteur à produire une cinquantaine de livres, dont de nombreux recueils de poésie, mais aussi des essais visitant l’histoire de la Bretagne, des Celtes ou du rock.  L’homme est traversé par la mer, sa puissance, sa rythmique. La présence scénique est forte, la voix a la résonance d’une de ces cavernes visitées par la mer sur la côte. Sa texture et sa profondeur rappellent celle d’un Bernard Lavilliers de même que sa façon d’habiter la scène. Le look et l’univers sont résolument rock, ce que confirme la collaboration avec le guitariste Lo Ran Ran qui est aussi le plasticien créateur du vidéo projeté sur grand écran.

« Composer en direct sur de la poésie, c’est rêver en même temps que le poète », me dit Lo Ran, complice de longue date de Geneste.  « Je n’illustre pas le texte.  Je passe par mon propre filtre.» Cette présence intense à plusieurs trouve pour moi son sommet pendant le festival dans le numéro « Avec le chant si clair d’Arthur Rimbaud « où Geneste s’allie à un autre complice de longue date, Paul Sanda, qui est aussi le président du festival.  L’interprétation puissante d’extraits de Rimbaud par Geneste alterne avec des fragments du livre éponyme de Sanda qui les ponctue de vocalisations chamaniques extraordinaires, recréant sur scène, avec les improvisations de Lo Ran et du jeune guitariste virtuose Timothée Durant, la portée vibratoire des Illuminations de l’auteur célébré simultanément à Patti Smith cette année, Arthur Rimbaud.

Sémaphore fait une large place à l’oralité et à la poésie performée.  De premier au 4 mars 2024, des musiciens accompagnent la majorité des prestations de la douzaine de poètes invités; Grégory Rateau, auteur français de la relève installé a Bucarest depuis plusieurs années qui y dirige Le petit journal, Faustine Sappa, autrice, journaliste et directrice de collection, Brigitte Broc qui explore la nature et le féminin sacré, Lydia Padellec, poète plasticienne et éditrice des Éditions de la Lune Bleue, qui offre en performance une lecture bien sentie de ses traductions de plusieurs chansons de Patti Smith, Sébastien Minaux, poète, membre de l’équipe de la revue la Forge et professeur, Patrick Sirot, poète et performeur aux textes humanistes, Marie Murski, un de mes grands coups de coeurs littéraires pendant ce festival, le cinéaste, musicien et poète F.J. Ossang, Emma Shulman performeuse et Aziliz Manrow, chanteuse.

Sémaphore accueille aussi cette année l’exposition de Claudie Lanzi, PV audition, qui travaille à la jonction des arts plastiques et de l’écriture, l’un visitant l’autre dans une osmose fascinante.  PV audition propose une traversée ludique, en images et en textes, l’un répondant à l’autre et les deux s’entremêlant, du thème de la surdité abordée par le calembour, ce glissement qui peut survenir lorsqu’on a mal entendu, et par la multiplication des points de vue et cite au passage quelques sourds célèbres (dont Rimbaud parait-il!) 

Ce déplacement du point de vue est aussi très présent dans l’excellente conférence de Éric Blanco, qui a interrogé le mythe Rimbaud et déboulonné pour nous l’icône qu’il est devenu, avec toutefois de l’affection.  Déplacement du point de vue aussi dans l’oeuvre du poète punk Roger West, d’origine britannique, qui livre un hilarant So you want to be un poète maudit, ainsi que le témoignage en justice de la jambe amputée de Arthur Rimbaud.

Déjanté, passionné, multiforme, mais jamais banal, Sémaphore offre un grand éventail de voix poétiques, une intensité qui ne perd pas le cap pendant quatre jours.  Je quitterai sous peu, nostalgique de ce monde où la poésie règne en maître, visionnaire et emportée.

D’autres projets sont déjà en cours ou commencent à prendre forme pour les douze mois à venir.  Une célébration des cent ans du Manifeste du Surréalisme.  Un projet Québec-France orchestré par RAPPEL:Parole-Création, les Éditions Femmes de parole et différents intervenants culturels de la région.  J’ai aussi entendu entre les branches qu’il est possible que le festival rende de nouveau hommage à une femme l’an prochain.  Chose certaine, Sémaphore, festival de la Parole Poétique sera de retour en mars 2025. À suivre!

Photo principale : De gauche à droite : Grégory Rateau, poète français qui vit à Bucarest, éditeur de LePetitJournal.com, Jean Azarel, lauréat 2024 du Prix Xavier Graal 2024 décret par le Festival Sémaphore et Nancy R Lange, poète en résidence 2024 à la Maison de poésie de Quimperlé et poète invitée à Sémaphore, festival de la Parole.

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