Mon top 5 en poésie québécoise

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Mon top 5 en poésie québécoise,  Par Ricardo Langlois
Je vais emprunter les mots de mon ami Claude Paradis pour vous introduire à la poésie. C’est dans son essai Ouvrir une porte (1) que j’ai trouvé quelques fragments sur la compréhension de mon cheminement, de mon expérience. C’est à l’adolescence que j’ai ouvert cette porte qui m’a amené (malgré moi) a une expérience sur l’essentiel de l’humanité, la part toujours vivante de l’être en chacun de nous (p.26 ). Ici, je dois remercier Claude qui m’a accueilli si chaleureusement. C’est plus qu’un ami Facebook, il y a des échanges téléphoniques et des opinions intimistes. La poésie représente tout pour moi. Une expérience qui va au-delà des mots.

Saint Denys-Garneau
Regards et jeux dans l’espace. Ce petit livre écrit en 1937 est le plus grand chef-d’œuvre de l’histoire de la poésie québécoise (p. 31). Je suis d’accord avec lui. Est-ce un hasard si mon premier travail a l’université portait sur ce poète? J’ai décortiqué Accompagnement qui se trouve à la fin du recueil. À l’époque de la grande noirceur, comment embrasser la totalité du monde en poésie? L’ultime poème : À côté d’une joie. Parce que la vie doit avoir un sens? Pour le poète, il n’est plus question d’écrire dans l’ancien jeu de vers. Cet enfant qui est en train de bâtir un village (un univers). Le poète dira paradis des libertés (2 ). On pourra dire qu’il privilégie de nouvelles images. Une nouvelle dimension rhétorique. Ce corps jouissif dans l’écriture.
Le risque d’être inventif. Ce petit livre est une célébration a la nouvelle croyance. Le dépassement d’un poète, chercheur de lumière, qui veut débusquer une réalité formatée par un clergé redoutable. Je n’invente rien. Il parle de Dieu dans son Journal…  Les poètes parlent de Lumière. On parle de foi, de croyance, à quelque chose de Grand, à l’au-delà. Christian Bobin parle de Dieu d’une manière philosophique : Idolâtrer Dieu pour notre petite jouissance esthétique personnelle … ou La lumière du monde ne vient pas du monde. (3)

 Gaston Miron, L’homme rapaillé
Pour la première fois en 1970, ce livre est mon deuxième choix contrairement à Claude Paradis. Une poésie incarnée dans le pays à venir. C’est aussi le thème de la femme-pays, le je fragile. L’exemple Mon bel amour cité a la page 81 de Ouvrir une porte.
Mon bel amour navigateur
Mains ouvertes sur les songes
Tu sais la carte de mon cœur
Les jeux qui te prolongent
Et la lumière chantée de mon âme.
Miron, je l’ai vu en conférence. Je lui ai parlé à trois reprises. Miron, je l’ai aussi vu lire (ou performer) ses poèmes debout au micro récitant par cœur avec fougue et génie. Abolir les contraintes, c’est lui qui a publié Lucien Francoeur à l’Hexagone. Le poète étonne. Il a en lui tous les outils du parfait poète : l’échange, l’écoute, le silence, la parole, l’introspection, le pays. Il ne vit que pour la poésie. L’affirmer haut et fort dans le corps social.

Jacques Brault, Moments fragiles
Je reviens à l’ami Paradis qui le place en deuxième position avant Miron. C’est son coup de cœur, il s’intéressera en particulier à Moments fragiles (1984 ) que j’ai reçu en cadeau au début des années 2000. Des petits haïkus, écrit dans le grand royaume des ombres (Pierre Ouellet). Existe-t-il une écriture aussi fragile et sensible? Paradis lui porte une affection particulière puisqu’il le place en deuxième position.
Un vent sec et coupant m’ouvre la bouche
Sans bruit
Et me cisaille jusqu’au dernier silence  (p. 30 )
Dans quel autre monde   dis moi
Dans quelle autre vie   crois-tu
La rencontre de nos silences
Réveillés au bruit du matin
Et dans quelle autre nuit
Toujours ronde sous mes doigts
Lune dévêtue. (p. 50 )
Ici, je me permets une réflexion : que reste-t-il de Jacques Brault? J’ai questionné des étudiants. C’est un pur inconnu pour la nouvelle génération. Où sont les vérités profondes de notre humanité? La culture, l’éthique, la spiritualité. Quelles sont les vertus transcendantes à part le dogme du Web. Quel est le rôle du poète?   Est-ce de ramener l’écrivain a une somme d’intentions pour entretenir l’illusion d’une société idéale. (4)
Anne Hébert, Le tombeau des rois
Voici le commentaire juste de Claude Paradis : le tombeau des rois, cette œuvre me semble donner un riche écho à la poésie de Saint-Denys Garneau. (5) Je dirais un voyage intérieur sur la fille fragile qui publie à compte d’auteure ses premiers écrits. L’essayiste décrit de façon admirable le rapprochement et la solidarité envers son cousin. Il retranscrit des extraits de la fille maigre, un poème de douleur et de colère :
Je suis une fille maigre
Et j’ai de beaux os (…)
Je les polis sans cesse
Comme de vieux métaux.(…)
Un jour je saisirai mon amant
Pour m’en faire un reliquaire d’argent.
Je me pendrai 
À la place de son cœur absent.
Dans ce poème, il y a quelque chose de précieux. Une capacité de laisser advenir l’émotion, une mythification d’un ressentiment. Un poème qui brise le silence et qui va à l’essentiel. Oui, c’est noir. C’est le désir de fusion qui est beau.
Hélène Dorion, Le temps du paysage, Mes forêts
Pour terminer ce top 5 très personnel, je plonge dans les années 2010. Le poète mystique Jean-Marc Fréchette m’avait offert Le temps du paysage. Un livre de poésie et de photos de l’autrice. Elle parle de la mort de son père. Ce livre m’avait secoué lors de ma première lecture. Je retiens cette phrase si précieuse : J’ai besoin de toute cette beauté que nomme le paysage pour aller reconduire mon père vers sa mort. (6 )
Comment lit-on la poésie? Comme une énigme ou une fable? J’apprends à être vivant, à chercher le sens à travers un bruissement d’écriture. Je pourrais citer presque en entier son dernier livre Mes forêts. Un immense chant a la Vie. Rarement, la voix de Madame Dorion aura été aussi intense. 
J’aimerais souligner quelques poètes qui me font grandir malgré ma fragilité et mes convictions. Je nomme quelques noms seulement : Francis Catalano, José Acquelin, Michael Trahan, Geneviève Catta, Pierre Ouellet, Martine Audet, Louise Dupré et Denise Desautels. Écrire le monde dans l’écriture agonique. Un livre pour trouver un sens à la vie. Pour perpétuer la mémoire.

Claude Paradis

Note de l’auteur
  1. Claude Paradis, Ouvrir une porte (sur dix grandes œuvres de la poésie québécoise du XXe siècle ). Éditions du Noroit, 2015.
  2. Idem. p 12.
  3. Christian Bobin, La lumière du monde Folio 2003.
  4. François Charron, la passion d’autonomie suivi de Une décomposition tranquille, essai. Les herbes rouges 1997.
  5. Claude Paradis, Ouvrir une porte, p. 44.

Livres consultés :

Saint-Denys Garneau, Regards et jeux dans l’espace,  Boréal Compact.

Gaston Miron, L’homme rapaillé, Typo, 1998.

Jacques Brault, Moments fragiles,  Éditions du Noroit, 1984.

François Charron, La passion d’autonomie suivi de Une décomposition tranquille, essai, Les herbes rouges, 1997.

Anne Hébert, Le tombeau des Rois, Seuil, 1960.

Hélène Dorion, L’étreinte des vents,  Druide 2016.

Christian Bobin, La lumière du monde, Folio, 2003.

Photo principale :  Saint Denys-Garneau

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Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com