REVIVISCENCE (Écrits de jeunesse revisités.) (Texte no. 5)

Une peinture REVIVISCENCE d’une ville avec une lune dessus. Une peinture REVIVISCENCE d’une ville avec une lune dessus.
REVIVISCENCE (Écrits de jeunesse revisités.) (Texte no. 5).  Par Robert Clavet
VERS UN MONDE NOUVEAU
Dans ma prime jeunesse, j’ai été marqué par le catholicisme, autant sous ses aspects sociétaux que mystiques. À l’aube de mes vingt ans, grâce à Alexis Klimov, j’ai découvert le christianisme oriental. Sous cette influence, j’en suis arrivé à voir le message chrétien comme une invitation à nous réaliser comme êtres créés à l’image de Dieu, c’est-à-dire libres et créateurs. La liberté dont il s’agit ici est « un pouvoir positif de création » (Nicolas Berdiaeff), à commencer par la création de nous-mêmes, c’est-à-dire notre réalisation en tant qu’êtres humains. Cette façon de voir se situe à l’opposé de toute forme de fondamentalisme qui se caractérise par l’intolérance, l’autorité, le zèle, le littéralisme et parfois le fanatisme. Les sources pour enrichir ma réflexion n’ont pas manqué, car, contrairement aux fondamentalistes, plusieurs communautés riches de grandes traditions spirituelles ont développé une lecture critique et symbolique de leurs Écritures.
Dans un processus « d’éloignement », dont rendent compte par exemple les mythes de la Genèse et du Paradis terrestre, l’être humain, qui a gardé l’image, a toutefois perdu la ressemblance. C’est pourquoi la réalisation de soi s’inscrit dans un processus de déification, non pas de divinisation, mais d’une plus grande participation à la vie divine. Le Divin est Unitotalité. C’est pourquoi la conscience qu’Il a de Lui-même passe par la manifestation et l’avènement de la conscience chez des êtres incarnés, donc plongés dans la multiplicité. Dieu est la Source de « ce que nous sommes vraiment », de notre Soi dont la plus grande partie est sous le seuil de la conscience tout comme la plus grande partie d’un iceberg est immergée. Par notre lien divino-humain, nous sommes parties prenantes du « Désir » divin à l’origine de la Création. En ce sens, étant donné la partie divine de notre nature, la réalité dont nous faisons l’expérience (où le Bien et le Mal sont corrélatifs) nous n’en sommes pas que les victimes. Dieu n’a ni voulu ni permis le mal, ce dernier étant inévitable dans une multiplicité où les objets se définissent par leurs différences.
En même temps que « l’éloignement », par des modulations de la conscience, le retour vers l’Un s’accomplit notamment à l’occasion d’instants privilégiés dont l’expression provoque l’avènement « d’époques spirituelles ». Dans la Tradition chrétienne, il s’est d’abord présenté comme révélation du Père, qui est la révélation de la Loi. Ensuite, comme révélation du Fils, qui est la révélation de l’amour. Et enfin, comme révélation de l’Esprit, qui n’est pas une révélation théologique, mais une révélation qui passe par un acte d’amour électif et une intériorisation créatrice. Notre époque est passée du théologico-dogmatique imprégné de la mentalité de l’Ancien-Testament à une spiritualité créatrice où l’humanisation signifie la déification, dans l’esprit de « l’équilibre du Divin et de l’humain » professé par les Pères orientaux. À l’ombre de notre croix, c’est-à-dire des difficultés et des épreuves, le christianisme intériorisé favorise une espérance « contre toute espérance ». Cette expression de saint Paul rend compte d’une foi et d’une confiance qui demeurent même quand tout semble perdu.
La paix du cœur passe par une acceptation des limites de nos savoirs objectifs et par une ouverture amoureuse et par conséquent libre à la transcendance, révélatrice d’un monde transfiguré. Il n’est pas besoin d’être savant pour profiter des bénéfices d’une spiritualité intériorisée. Toute personne de bonne volonté peut s’engager sur le sentier de la spiritualité, mais sans toutefois pouvoir faire l’économie de la traversée de nuits de l’âme où tout semble vide et insensé. Nous évoluons dans une réalité ambivalente où le bien et le mal, la joie et la peine, se côtoient, mais cette réalité n’est pas que victimisante, elle permet d’exister. Nous ne savons pas ce que nous étions avant de venir au monde et nous ne savons pas ce que nous serons après notre mort, mais la vie semble être un passage allant de l’Un vers la multiplicité et de la multiplicité vers l’Un, dans une économie cosmique qui dépasse l’état actuel de nos connaissances. Avoir la foi, c’est aussi croire que les épreuves sont des occasions d’ouvrir notre esprit et notre cœur, de découvrir ce lieu intérieur où les espoirs éphémères tournés vers le futur sont remplacés par une espérance en une vie d’éternité. Il n’est pas facile de surmonter ses sentiments de culpabilité et de se libérer de l’impression d’être des victimes, mais je crois en une Présence non objectivable, donc inconnaissable, mais participable dans ses énergies.
La culture occidentale a été profondément marquée par le point de vue matérialiste qui considérait l’Univers comme une gigantesque machine soumise à des lois immuables. Mais à présent, de plus en plus de scientifiques considèrent que l’Univers ressemble davantage à l’expression d’une « pensée ». En renouant avec la notion de l’Univers vivant des néoplatoniciens, certains physiciens pensent que la conscience humaine pourrait être une expression de la conscience de l’Univers. Incidemment, la description des champs quantiques dans la physique actuelle fait penser à certains enseignements du bouddhisme tibétain : « Le monde extérieur et le monde intérieur, explique Lama Govinda, ne sont que deux faces d’un même ouvrage où les fils, de toutes les forces et de tous les évènements, de toutes les formes de conscience et de tous leurs objets, sont tissés en un réseau indivisible de relations indéfinies qui se conditionnent mutuellement. » Les physiciens quantiques ont redécouvert l’unicité fondamentale de l’Univers. Ils font valoir que toute chose est connectée avec toutes les autres et déterminée par les propriétés de celles-ci, si bien qu’il est impossible de découper le monde en unités plus petites douées d’une existence indépendante, comme on l’a cru à propos de l’atome. Le monde apparent est indissociable de l’existence même de la conscience. Vers 640 av. J.-C., Thalès affirme déjà qu’il n’existe pas de corps à proprement dits, mais seulement des assemblages momentanés de corpuscules unis par une énergie cohérente. Cent ans plus tard, Héraclite explique que la matière vivante participe à la vie psychique et physique d’un grand Tout. Ces idées furent reprises à la Renaissance notamment par Paracelse, Pic de la Mirandole et Jacob Boehme. Je suis convaincu que l’élargissement de la conscience a un impact direct sur l’Univers. La réalité matérielle et la conscience sont indissociables, tout s’interpénètre.
La théorie de la réincarnation sied bien avec l’idée de l’interrelation de tout avec tout, même si nous en ignorons les modalités. Ce qui est certain à mes yeux, c’est que notre passage sur terre n’est pas le tout de ce que nous sommes. Nous n’étions pas rien du tout avant notre naissance et ne le serons pas davantage après. Nous appartenons à plusieurs plans de la réalité et, par le Divin, sommes aussi enracinés en le Néant, ce qui rend la liberté créatrice possible. Mais même les personnes de bonne volonté sont déchirées entre l’héliocentrisme du Soleil divin et le géocentrisme du moi. Tout éloignement de l’Un déclenche un processus où apparaissent des forces et des êtres pouvant vouloir que tout tourne autour d’eux-mêmes ou d’une réalité factice à laquelle ils s’identifient. Le wotanisme, par exemple, est une forme d’idéologie politique néonazie sur fond de religiosité identitaire néo-paganiste germanique, intrinsèquement raciste et antisémite. Qui sait quelles sont les forces qui jouent dans les vies individuelles et collectives à l’origine des grands événements de l’Histoire, autant l’avènement de nouvelles époques spirituelles que les plus terribles sursauts de la barbarie.
Robert Clavet

Photo principale :  « Le village de nuit  » par Hervé Le Bis

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Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.