Philippe Manevy, La colline qui travaille

Philippe Manevy, La colline qui travaille. Par Ricardo Langlois Philippe Manevy raconte son passé. Il parle de ses parents, ses grands-parents. Sa mère surtout. Un exercice d’écriture. Un héritage qu’il a envie de confier à la nouvelle génération. Je cite Marie-Hélène Voyer : « Des trésors de patience. Quel poids occupent en moi toutes ces choses avalées? Je ne connais pas ma destinée (…) Je ne magnifie rien. La nostalgie a le goût écœurant des fruits trop mûrs
Philippe Manevy, auteur, La colline qui travaille Philippe Manevy, auteur, La colline qui travaille
Philippe Manevy, auteur, La colline qui travaille

Philippe Manevy, La colline qui travaille. Par Ricardo Langlois

Philippe Manevy raconte son passé. Il parle de ses parents, de ses grands-parents. Sa mère surtout. Un exercice d’écriture. Un héritage qu’il a envie de confier à la nouvelle génération. Je cite Marie-Hélène Voyer : « Des trésors de patience. Quel poids occupent en moi toutes ces choses avalées? Je ne connais pas ma destinée (…) Je ne magnifie rien. La nostalgie a le goût écœurant des fruits trop mûrs » (1 )

Introspection

L’auteur condense le temps qui passe. Il est reconnaissant pour les maîtres de l’écriture : Annie Ernaux, Nelly Arcand, Emmanuel Carrère, Gabrielle Roy, Colette, Proust. L’auteur n’est pas tendre envers les réseaux sociaux. « Les photos de vacances instagrammées se ressemblent comme toutes les images d’un bonheur que l’on voudrait unique » (p. 60). On traverse les époques, les mutations du langage. Comment rendre la vocation d’immortalité à un roman sans jamais perdre son âme? Est-ce possible d’écrire un roman autobiographique sans s’enfermer dans un monde de références (Barthes, Heidegger)? Ce roman est fabuleux. Il parle de Lyon. « Cette ville a la puissance des lieux légendaires.» Manevy imagine Lyon autrement. Au-delà de la mélancolie de l’adolescent. Il parle d’un journal secret. René, son grand-père, joue un rôle clé dans son apprentissage. Lyon avait regroupé, au 16e siècle, tout ce que la France comptait d’éditeurs importants. C’est là que Rabelais avait publié ses romans.

La grande noirceur

Enfant de chœur à huit ans, René vit à «l’époque de la messe en latin dans une chorégraphie parfaite venue d’un autre âge » (p.152). La religion dirigeait la vie de nos grands-parents à cette époque. L’époque de la grande noirceur pour les Québécois jusqu’au début des années 60. René sera victime d’abus par un prêtre. À partir de ce moment, il deviendra anticlérical. Il y aura un schisme qui traînera toute sa vie. Le drame de l’adolescent coincé entre les valeurs familiales. Quel est ce sombre murmure, perceptible, tantôt hors de nous, tantôt en nous, comme si la vie s’offrait dans un affrontement dans cet abîme.

Souvenirs, souvenirs

Le narrateur parle du XXe siècle. De la guerre, les terribles photographies de nos livres d’histoire (p.164). La co-habitation avec la peur (p.172), le chantage d’une mère qui aime trop son fils (p.183), le sentier de l’infini (une image forte, p.184). L’auteur s’efforce de raconter, dans les moindres détails, avec une grande fluidité, son expérience. L’impact des souvenirs anxieux et ambitieux. Ce sont des souvenirs, peut-être les plus belles pages de sa vie. Sa mère est au premier plan. Comme un abîme de douceur. On peut même deviner un espèce de bonheur envers cette mère qui lutte contre les conventions de la bourgeoisie.

L’auteur consacre tout un chapitre à Annie Ernaux, (2).  Même quand il est devenu professeur, il a enseigné « La place et Une femme ». Il mentionne en particulier « Les années ». « L’écriture est aux prises avec la mort » (p.210). Il va même jusqu’à dire que l’œuvre d’Ernaux la relie à sa mère.

Écrire, lire, continuer d’exister. Manevy met en lumière ce qui le dépasse. On se remet au monde constamment.

Note

1. Pour l’introduction, j’ai choisi « Mouron des champs » de Marie-Hélène Voyer, 2022. Il est mentionné en épigraphe au début de son roman.

2. À 82 ans, en 2022, Annie Ernaux reçoit le Prix Nobel de littérature, alors que son œuvre a longtemps été snobée par les critiques en France.

Philippe Manevy enseigne le français et le théâtre. Il est également l’auteur de « Ton pays sera mon pays »Leméac, 2021. Ce livre a été l’objet d’une critique sur notre site.

Philippe Manevy, « La colline qui travaille »,Leméac, 2024.

Photo principale : Philippe Manevy

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Ricardo Langlois a été animateur, journaliste à la pige et chroniqueur pour Famillerock.com